31. Vers, distiques et tercets anéantis par Danièle Robert

Kolja Mićević

La traduction gauchie de La divine comédie
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016-2020)

VERS, DYSTIQUES ET TERCETS
ANÉANTIS PAR DANIÈLE ROBERT

Maintenant que depuis quelque temps toute La Comédie ‒ le seul titre qu’il faut considérer comme authentique ‒ de Dante dans la traduction de Danièle Robert est devant nous, on peut la juger dans sa totalité ! Je commence par la conclusion ‒ conclusio, dirait prof. Carlo Ossola ‒ que je résume en quelques mots : il s’agit d’une rare débâcle traductoire aux vues de l’intention de la traductrice et de son éditeur qui ont promis solennellement, en appelant presque toutes les traductions, la mienne avant toutes, « avortées », c’est le mot, de « donner enfin la structure voulue par l’Auteur ». J’ai déjà donné, dans les textes précédents, de nombreux exemples, je citerai de nouveaux pris au hasard (partout où j’ouvre…) dans les trois cantiques.

                                               Enfer, XV, 112

Dante : Colui potei che dal servo de’ servi…
Robert : Voir celui qui par le servorum servus…

Il m’est arrivé plusieurs fois, en ouvrant par hasard la traduction de Dante par Robert, d’avoir sensation de rêver ‒ ce verbe permet une lecture inverse et il faut le lire dans ce sens, ici ‒ comme devant ce vers par lequel la traductrice veux nous donner la preuve qu’elle est vraiment spécialiste du Moyen Âge et de la langue latine, et fait une chose invraisemblable, en traduisant la belle image en toscan de Dante, servo de’ servi, en latin ! Elle, qui s’est si mal débrouillée avec les latinismes dans chacun des trois cantiques, soudainement  l a t i n i s e  notre poète, c’est un fait-no-mais-non ! Dans son commentaire elle nous parle de l’expression, servus servorum, qui date du temps de Dante, et dont les papes signaient les actes officiels, mais fait une inversion, servorum servus, pour n’avoir qu’une rime si maigrement avec « servus-dissolue », opération vraiment invraisemblable ; tandis que mon « serviteur des serviteurs » rime très richement :

serviteurs / évite leur / nerf vite meurt,

à la manière de mon maître Jean Molinet.

                                               Enfer, XVII, 82

Omai si scende per si fatte scale
On descend désormais par ce canal.

Cela fait sincèrement rire, on ne rêve plus ! Traduire « scale », échelles, marches…, par  c e  c a n a l ‒ c’est un exemple rare, presque historique, où le traducteur a suivi son oreille (pourquoi pas !?) :  s c a l e-c a n a l, presqu’une anagramme bilingue ‒ témoigne de manque sérieux d’imagination basique de celle qui traduit. Cela me fait penser à une paraphrase d’un poète français qui voulait traduire en français un vers de Mallarmé uniquement par l’oreille : Le cierge, le vorace et le sel… (je ne me souviens pas très bien), pour montrer combien c’est absurde. Ma traduction :

On descendra par de telles échelles

et cela rime pleinement avec : échelles / excelle / blesse-t-elle, toujours dans le goût de mes Grands Rhétoriqueurs. J’ai même traduit certains vers de La Comédie, en reprenant entièrement leurs images (celles des Grands Rhétoriqueurs), comme par exemple, dans le vers 36, chant XXXI, du Paradis :

A le cose mortali andò di sopra,

ce vers de Lemaire de Belge, de son rondeau Sur la hauteur et la ruine de Rome :

Avait tout le monde pour son service,

une trouvaille tellement essentielle, et non la seule, que Carlo Ossola, en citant les éditions françaises essentielles (comme il les appelle) de La Comédie à la fin de son Introduction…, avait tort et n’avait pas le droit d’ignorer la mienne, surtout qu’à cette époque ma traduction était la seule terzarimée, et reste telle, la seule, parce que celle de Danièle Robert est loin d’être telle. Chez moi dantéologue rime avec déontologue.

                                               Enfer, I, 107-8 

                        Di quella umile Italia sia salute
                             per cui morì la vergine Cammilla,
                             Eurialo e Turno e Niso de ferute.

                             Sera de la pauvre Italie le salut,
                        pour qui moururent la vierge Cammille
                        et de coups Euryale, Turnus et Nissus.

C’est pour la première fois dans La Comédie que Dante « accumule » plusieurs noms dans un ou deux vers, et leurs positions obligent tout traducteur conscient (et préparé). Dante a mis à la fin du vers au milieu le nom d’une femme, le premier de beaux noms féminins, même avant celui de Béatrice, dans La Comédie, lequel obligatoirement devait « passer » par la rime ‒ un fait peut-être pas assez remarqué par les commentateurs ‒ et les trois noms masculins se trouvent dans les sept premières syllabes du troisième vers. Robert a réussi de « garder » vierge* Cammilla…

[* Je signale et attire l’attention de Carlo Ossola sur cet adjectif, celui aussi par lequel commence le sonnet du Cygne de Mallarmé, cité plus haut, qui apparaît pour la première fois dans La Comédie, l’adjectif qui pourrait lui servir pour compléter sa thèse théologique de La Comédie en transformant ainsi, plus en plus, Dante poète-théologue et philosophe (comme on dit souvent) en Dante théologue et philosophe-poète. Voir aussi son analyse de la séquence avec Bertrand de Born (pages 55 et 56 de son Introduction…) où pour C. Ossola tout est théologique ‒ sans poser la question capitale si Dante avait, ou non, raison en condamnant le troubadour à un tel supplice ‒ comme si Dante écrivait en regardant « en mille lieux sur les portails des cathédrales », n’étant qu’un piètre descripteur, dénué de sa propre imagination ! C’est comme si Ossola expliquait la trompette fétide de la fin du chant XXI de l’Enfer comme la trompette du Dies Irae ! D’ailleurs c’est un vers extrêmement linéaire et puissant dans cette linéarité, mais traduit dans le laboratoire (plutôt râtoire) de Danièle Robert par une non moins infertile inversion :

                                   Qui de son cul un clairon avait fait.

Est-ce du français de Dante ? Ce n’est même pas du français du tout, sauf parodique ; elle n’a pas compris la première leçon de Dante, que le mot-clé d’un vers, ici  t r o m b e t t a, doit toujours être à la place de la rime, sauf exceptionnellement quand la rime n’est pas possible (par exemple : corpo). Danièle Robert n’a rien, mais vraiment rien compris dans la versification transcendantale de Dante, comme, d’ailleurs, ni Carlo Ossola, et s’il en parle c’est seulement pour en donner un sens théologique : andare / parlare ; cuoia / ploia (de lo Spirito Santo), tandis qu’au début de ce même chant XXIV du Paradis se trouve la rime exceptionnelle ‒ d i f f e r e n t e-m e n t e ‒ qu’il avait allusivement, et comme au passage, mentionné dans son Introduction…, et encore mal]   

… à sa place d’origine, et, pensant que c’est assez de sa part, avait transformé ce troisième vers en total désordre. Mettant Nissus à la fin du vers, elle a non seulement rendu une rime « avortée », dont sa traduction abonde d’un bout à l’autre, en « chassant » la magnifique image finale « de ferute » au début du vers, où il ne s’agit plus de blessures, mais de « coups » comme si tous ces héros sont morts par les coups de massue ou des poings ‒ donc sans plaies ou blessures ‒ et non dignement par l’épée ou les flèches ! En plus, il n’est pas tout-à-fait clair dans sa traduction, de quoi est morte Camille ! Le problème pose le et du début du troisième vers traduit, qui serait plus clair, et on saurait que Camille mourut de mêmes « coups » que les autres, si la traductrice avait placé cet et ainsi :

                                      … moururent la vierge Camille,
                           de coups, et Euryale, Turnus et Nissus…,

un distique vraiment désespérément traduit. Je parlerai bientôt plus longuement dans un autre texte de ce problème, comment traduire les noms, propres ou communs, de La Comédie. Ma traduction du tercet avec Camille:

                        Il sauvera l’Italie qui or si endure,
                             pour qui moururent la vierge Camille,
                             Euryale et Turn et Nis, de blessures.

Dans ce tercet on peut reconnaître deux « constantes » : C a m m i l l e, à la fin du vers, et l’image finale,  d e  f e r u t e. Pour satisfaire à cette double  contrainte j’ai décidé de  traduire  u m i l e, humiliée et non pauvre comme traduit Robert, par qui or si endure ‒ j’appelle cela « variable » ‒ et je crois que j’ai bien fait.

                                               Enfer, XIX, 93                                  

                                   Ed el gridò : « Se’ tu già costì ritto,
                                        se’ tu già costì ritto, Bonifazio ? 
                                        Di parechi anni mi mentì lo scritto. »

                                        Et il cria : « Tu es déjà ici,
                                   tu es déjà ici, Boniface, toi ? 
                                  Durant les années, le texte m’a menti. »

Que celui qui traduit Dante en vers libre ou en prose, fasse ce qu’il désire pour son plaisir, avec ces vers, et qu’il aille au diable ; mais une traductrice qui avait un si haut idéal, n’avait pas le droit de simplifier ce vers simple déjà et magnifique dans sa simplicité ! Brièvement,  B o n i f a z i o  devait rester à sa place dans le texte traduit, d’autant plus que ce nom donne de très nombreuses possibilités de rimer en français, et parce que Dante a exprimé le grand étonnement du pape Nicolas, en répétant l’expression se’ tu già costì ritto de la fin du vers précédent. Ce « toi » après Boniface corrompt tout effet préparé soigneusement par Dante. Ma traduction :

                                    Et il s’écria : « C’est toi qui là erres,
                                        c’est toi qui là erres, Boniface ?
                                        La prédiction ne fut donc pas claire. »

                                                     Purgatoire, V, 136

                                   Disposando m’avea con la sua gemma. 
                                   Par la pierre d’un anneau l’ayant promis.

Ce vers est non seulement beau, mais encore plus important, parce qu’il se termine par un mot ‒ g e m m a ‒ que Dante ne pouvait pas prononcer, encore moins écrire, sans penser à sa femme Gemma. Le mal que Boccace, dans sa soi-disant louange a dit et fait contre l’épouse de notre poète a comme paralysé tous les commentateurs depuis toujours de reconnaître dans cette scène, dans laquelle Pia décrit ses fiançailles, celles de Dante ! Je les vois, je ne crois pas à Boccace, jaloux poète raté et déjà incurablement mysogyne, au moment où il a, pour une somme de florins assez importante, accepté de « louer » Dante et de cracher sur sa femme. En traduisant ce vers n’importe comment, Danièle Robert est restée à plusieurs années-lumière de reconnaître la clarté du mot  g e m m a, de s’arrêter un instant ‒ de faire un « ralenti » ossolien ‒ et de réfléchir. N’ayant pas fait ça, elle a spécialement mal traduit ce plus qu’un vers, surtout avec cette forme passive, l’ayant, qu’elle utilise aussi souvent que la forme étant ! J’ai gardé Gemma dans ma traduction de ce vers que je considère comme un moment des plus intimes dans La Comédie :

                                   M’épousant avec l’anneau de gemme.

Qui en « gemma » ne reconnaît pas  G e m m a, il pense que Dante était un homme, non seulement écrivain, dans les veines duquel ne coulait pas le sang, que son cœur ne battait pas. Danièle Robert avait une chance extraordinaire de réparer le mal fait par Boccace, mais elle n’a pas pu le faire. Pourquoi ? Parce que j’ai déjà, quinze ans avant elle, traduit cette scène, en acceptant les rimes données par Dante : Maremma-gemma, mais elle voulait être originale à tout prix et contre moi, et au lieu de suivre Dante, et prendre ce que Dante donne, elle voulait faire  d i f f e r e n t e m e n t e ! Et elle a fait quelque chose comme n’importe quoi ‒ m’ayant promis !       

                                               Purgatoire, XVIII, 106 

                                   Ricompie forse negligenza e indugio
                                   Compense négligence et retard ‒ n’est-ce pas ! ‒

Un vers de Dante simple et rythmiquement  c h i a r o, est devenu chez Robert une non traduction mais parodie de la traduction, à cause de l’emploi de ces parenthèses (‒ ‒) entre lesquelles elle met n’importe quoi, ici : n’est-ce pas, comme si Dante, dans sa traduction soudain s’adressait à quelqu’un ; ou c’est Robert qui s’adresse à quelqu’un ! Et combien cette expression banale est prosaïque. C’est vrai que Robert pense qu’ainsi elle ré-compense le  f o r s e  du vers de Dante qu’elle n’a pas pu traduire correctement par  p e u t-ê t r e, mais entre forse et n’est-ce pas il y a une sacrée différence ! Dans toute La Comédie Dante fait une dizaine d’enjambements avec  f o r s e, auxquels Robert a répondu une seule fois, et encore maladroitement, par un « apparemment » ! Cet adverbe est une des difficultés dans tous les trois cantiques, pour qui traduit Dante en français, et surtout en rimant. Ici dans le chant XVIII du Purgatoire, dans lequel nous sommes, Dante fait au début un fort enjambement avec l’anagramme du nom de son ami Forese (forse=Forese) ‒ enjambement par lequel il annonce sa rencontre avec Forèse un peu plus loin ‒ mais dans la traduction de D. Robert cet enjambement a eu le destin comme beaucoup d’autres vers, applati par son « fer à repasser » :

                                                                                      « Forse
                                   le troppo dimandar ch’io fo li grava. »

devenu :                                  

                                   « Suis-je pesant, à trop le questionner ? » 

Elle qui parle de l’importance du rythme dans sa traduction ‒ les théories nébuleuses qui se terminent par la conclusion que  o n z e   n’est pas  o n z e  mais  d i x, etc. ‒ n’a pas le droit d’éviter ces endroits avec les enjambements où Dante fait un effort pour donner à son rythme une nouvelle force, comme ici avec  f o r s e, éliminé tout  simplement par Robert ! Son « n’est-ce pas » est la mort du rythme et de la poésie.

            Encore un exemple de ses parenthèses (‒ ‒) désagréables :

                                   Non dica Ascesi, ché direbbe corto
                                   De ne pas dire Ascesi ‒ faible parler ‒

Pourquoi elle ne traduit pas Ascesi par Assisi, je laisse cette question aux meilleurs connaisseurs, mais appeler cela « rythme » signifie que pour Danièle Robert tout le problème consiste dans sa faculté de savoir compter les pieds sur les doigts ? Quoique, quand je réfléchis, peut-être prof. Ossola trouverait dans ces parenthèses et ce « faible parler » un bel exemple de « ralenti » découvert chez Mandelstam, et la féliciterait pour cela !                          

                                               Purgatoire, XXII, 1-3

                                   Già era l’angel dietro a noi rimaso,
                                        l’angel che n’avea vòlti al sesto giro,
                                        avendomi dal viso un colpo raso.

                                   L’ange était donc derrière nous resté,
                                        ayant de mon front effacé l’un des coups
                                        ‒ une fois le sixième cercle indiqué ‒

Voici en trois vers traduits tout cataclysme, la totale destruction. La grande beauté de ce tercet repose dans un refrain-écho unique dans toute La Comédie ‒ que Carlo Ossola me dise le contraire ‒ et montre que Dante sans cesse cherche de nouveaux effects (sic !) comme celui-ci avec l’ange… l’ange. Et pas n’importe comment : car le  p r e m i e r ange est légèrement à l’intérieur du premier vers, le  s e c o n d  est au début du deuxième (vers). C’est déjà le début de la polyphonisation du texte ‒ deux voix qui se suivent, exactement comme celles dans la cantate de Bach Jesu der du meine Seelle ‒ non avec les âmes violentes, non avec les rois et les princes, mais avec l’être supérieur, Ange ! Tant pis pour les autres traducteurs ‒ car la plupart s’est très mal débrouillé avec ce distique (je ne comprends pas pourquoi) ‒ mais Danièle Robert, spécialiste de l’organum, du plain-chant et du déchant, devait reconnaître ce contrepoint, une sorte de ricercare qui déjà devenait une fugue. Mais non, incapable de musicaliser, elle a traduit ce tercet brutement, en mettant le  p r e m i e r  ange au début du chant, tandis que le  s e c o n d  ange « a fui (disparu) » devant ce massacre. Car c’est le vrai massacre ; Robert a sans raison, sauf pour une rime quelconque, inversé les deux vers suivants, en mettant le troisième entre parenthèses (‒ ‒), ce qui est son habitude et comble de maladresse, en les couronnant par deux fautes de sens qu’on ne peut pas pardonner. À la fin de son deuxième vers on lit « l’un des coups » ‒ rappelez-vous des « coups » reçus par la vierge Camille et ses amis de combat ? ‒ tandis qu’il s’agit de  c o l p o, un des sept P (peccato) que l’Ange avait « gravés » avec l’épée sur le front de Dante à l’entrée du Purgatoire ! Ce « l’un des coups » est une des plus indélicates traductions jamais*.

* Il est symptomatique que ces deux « coups », au chant I de l’Enfer, et ici, au Purgatoire, se trouvent à la place de la rime. Je ne critiquerai jamais un poète ou un traducteur, comme maints le font pour les « détruire », d’avoir écrit ou traduit le sens d’un vers (le sens qui d’ailleurs toujours échappe même quand on traduit Dante en simple prose) « pour avoir la rime ». Si cette rime est bonne et belle, parfois exceptionnelle, je l’accepte même si le sens du vers est plus ou moins « dérangé changé ». Mais les « coups » de Danièle Robert sont nuls comme la rime, et de même coup très loin du sens.

Enfin, le comble ! Robert n’a pas remarqué que, après l’Enfer, Dante n’utilise plus le terme  c e r c c h i o, mais cela ne l’empêche pas de traduire le  g i r o  par  c e r c l e ! On dirait qu’elle ne sait pas où  elle se trouve dans le Texte! C’est ce constant problème de « penser » toute La Comédie en un seul instant. C’est très connu que les traducteurs français n’aiment pas les répétitions, mais cet Ange « répété » est aussi une façon pour Dante de dire qu’il est né sous le signe des Gémeaux, ce qu’il dira ouvertement dans l’autre chant XXII, celui du Paradis ! Le 2 est beaucoup plus le nombre, intime et personnel, de Dante, que le 3, commun, et je me demande quel numérologue ésotérique de Dante (René Guénon certainement pas) ait jamais remarqué que ce chant XXII ‒ 22 ‒ commence par un dédoublement ‒ duplicatio, dirait notre professeur Ossola ‒ de l’Ange ? Ma traduction :

                                   Déjà était l’Ange derrière nous assez,
                                        l’Ange qui nous mena au sixième giron,
                                        après m’avoir du front une plaie effacé. 

                                               Paradis, XI, 61-66                                  

                                   E dinanzi a la sua spiritual corte
                                        et coram patre le si fece unito
                                        poscia di dì in dì l’àmo più forte.
                                   Questa, privata del primo marito,
                                        millecent’ anni e più dispetta e scura
                                        fino a costui si strette sanza invito.

Voici la cacophonique traduction de l’Actes Sud (je suis fatigué de répéter le nom de la traductrice):

                                        Devant la cour épiscopale, alors,
                                   et coram patre, à elle il s’unit,
                                   et puis de jour en jour l’aima plus fort.
                                        Privée de son premier mari, elle était
                                   depuis plus de mille et cent ans restée
                                   seule, obscure et délaissée, jusqu’à lui.

Tout un kaléidoscope de diverses fautes ! Pourquoi Robert traduit « spirituale corte » par « la cour épiscopale » ? Que font deux syllabes  a l o r s  à la fin du premier vers ? Il est assez extraordinaire que je critique cet  a l o r s  car il se trouve à cette place dans ma traduction de ce vers, que Danièle Robert m’a tout simplement « piqué », mais il y a des  a l o r s  et des  a l o r s ! Ce mot, que j’appelle « mot d’appui » ici, however, détruit, ensemble avec « cour épiscopale », tout le charme de l’histoire ! Pourquoi ? Parce que cet  a l o r s*  a été volé par Robert à moi, sans aucune raison sauf d’avoir une rime à tout prix, et les choses « volées » sonnent toujours creux. Dans ma prochaine traduction de ce vers je le traduirai autrement pour ne pas ressembler à ma « fausse prédécesseuse ». Car je peux re-traduire chaque vers de  m a  Comédie, s’il est nécessaire, dico, traduire autrement. 

* Et ce n’est pas l’unique cas où ce sien  a l o r s  a fait du ravage dans sa traduction. Le vers de Dante, où le mot  a m o r e  occupe la place de la rime en préparant un important enjambement (on pourrait faire toute une anthologie de ces vers « enjambés ») :

                        Quando Virgilio incomincò : « Amore… »

est devenu sous le fer à repasser de Robert une laideur, on ne peut pas dire autrement, car l’inutile  a l o r s (parasitique)  a pris la place de l’ a m o u r :

                                   « Amour » ‒ ainsi commença Virgile alors  ‒

Ainsi… alors ! Monsieur François Iks, lisez ce vers dans la traduction de Jacqueline Risset, et vous regretterez amèrement d’avoir dit que « celle de Danièle Robert renvoie la traduction de Jacqueline Risset aux ténèbres de l’oubli ». Et vous, prof. Carlo Ossola, qui avez dit que les trois vers bien traduits sont suffisants pour  justifier  la traduction de tout l’Enfer, ne pensez-vous pas qu’un vers pourtant  f a c i l e, mais plus que mal traduit est suffisant pour jeter cette entière traduction aux oubliettes, comme avortée ! Une fois de plus elle emploie ces parenthèses insupportables (‒ ‒) pour un peu dérouter son lecteur et simuler les vraies erreurs commises en si peu d’espace.

 Le premier vers de la deuxième terzina, si élégamment composé par l’ailé Alighieri : Questa, privata…, est devenu un kitch in her translator’s kitchen, car elle a sans aucun sens ni goût pour l’ordre des mots de Dante, « jeté » la Dame Pauvreté là où vous la trouverez dans sa traduction plus haut citée. Les deux derniers vers sont d’un prosaïsme gênant, car Robert n’a jamais su « poétiser » les chiffres de Dante, comme ici où « millecent’ anni e più » est devenu « plus de mille ans » au lieu « mille ans et plus » ! (Des « petits riens » mais qui rongent de tous les côtés sa traduction).

            J’ai choisi ces deux tercets non par hasard, mais avec l’intention de donner encore un exemple que Robert ne dit pas la vérité quand elle présente sa traduction non seulement comme la première réalisée dans le rythme authentique de Dante ‒ elle ne l’est pas définitivement, malgré la propagande menée par l’éditeur et les journalistes plutôt incultes qu’instruits dans ces questions ‒ mais aussi « terzarimée » d’un bout à l’autre. Dans ce passage Danièle Robert nous montre combien ce n’est pas vrai, puisque « l’unit » et « elle était » ne riment ni entre eux ni avec qui que soit ! Ce genre d’absence des rimes se trouvent et dans l’Enfer, et dans le Purgatoire, et ils contredisent sérieusement ce qu’elle et son éditeur ont annoncé au début de leur aventure malheureusement pas « folle ».