28. Les bilinguismes de Dante III

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

EN ATTENDANT LE PARADIS
DANS LA TRADUCTION DE DANIÈLE ROBERT, 

LES BILINGUISMES DE DANTE
TR A H I S par DANIÈLE ROBERT [III] 

Ceux du Purgatoire
I. La « seconde partie » 

 

Juste avant de passer du Purgatoire au Paradis, Danièle Robert avait un problème à régler ! Dans le vers 140 du dernier chant, XXXIII du Purgatoire, Dante dit qu’il avait utilisé toutes les feuilles (carte)

ordite a questa cantica seconda,

 que Robert traduit par un vers extrêmement mal organisé ‒ ordite sont devenu dédiés et dédiés est placé à la fin du vers ‒ voici :

à cette deuxième partie dédiés.

Avec mon « petit français » je vois une grande différence entre  o r d i t e (prévues, par exemple, ou destinées) et     d é d i é s ; pourquoi pas  c o n s a c r é s,  qui rimerait aussi mal que mal avec  r e t o u r n e r a i  du tercet suivant?

     Mais, le problème n’est pas là, comme c’est souvent le cas chez elle. Le vrai problème, ou la difficulté ‒ et même la responsabilité du traducteur ‒ se trouve dans la deuxième partie du vers de Dante, cantica seconda, tandis que cette image occupe le milieu de son vers traduit, ainsi : deuxième partie. Mais ce qui choque, ce n’est pas la position de cette image dans le vers ‒ même si chez Dante elle n’est pas à la fin par hasard ‒ mais la traduction du cantica par partie. La plupart des traducteurs français ont traduit  c a n t i c a  par  c a n t i q u e, et c’est la seule bonne traduction. Je me déteste d’avoir traduit par  P o è m e  (avec une majuscule), ce que je corrigerai dans une future édition, mais proposer  p a r t i e   me semble contrarier et nier tout ce que cette même Danièle Robert nous a dit, sur la page 11 de sa préface pour le Purgatoire, sur l’organum (à propos duquel elle se trompe sérieusement), chant grégorien, plain-chant, contre-chant, déchant, ou l’école de Notre-Dame… Je trouve fascinant que quelqu’un qui nous a promis un Dante jazzy et swinguant il y a quatre ans nous fasse soudain une leçon sur la musique du Moyen-Âge, avant la naissance même de Dante ! Si elle était restée sur ses positions jazzy et swinguant, j’aurais compris son « partie », mais après cette exposition musicologique si détaillée, le choix de ce mot semble vraiment d’autant plus scandaleux. Comme avec  M i s e r e r e  du début de La Comédie, Danièle Robert n’a pas compris que Dante avec   c a n t i c a   fait un pont, comme on dit, et introduit ce terme biblique dans le répertoire des futurs grands polyphonistes qui exactement élaboreront Le Cantique des cantique, maints depuis da Palestrina, ou Melchior Franck, c’est-à-dire et les catholiques et les protestants. Je vois Dante comme un « musicien manqué », pour notre bonheur, mais qui n’a jamais cessé de « penser et rêver » musicalement, même polyphoniquement. Le mot   C a n t i c a  avait pour lui presque la même importance que le titre  C o m m e d i a  ‒ La Comédie était pour lui aussi son Cantique des cantiques, Veni, sponsa de Libano ; Asperges me ; Deus venerunt gentes, etc. ;… ‒ c’est pourquoi le choix du mot « partie » contre « cantica » me paraît grotesque*.

* Grotesque est aussi et difficile de comprendre que Robert dans ses notes assez souvent, sans exception, écrit le  c a n t i q u e  en forme italienne,  c a n t i c a, au lieu de courageusement employer son « partie » ; grotesque est aussi et difficile de comprendre qu’elle écrit le titre de Dante en forme italienne, La Commedia, au lieu de le faire en français et de reconnaître que c’est le seul titre véritable du Poème. En plus ces hésitations peuvent troubler un lecteur nouveau. Encore une fois je me demande : Où est donc  s a  cohérence ! En italien on peut dire La Commedia, en français on ne peut pas dire La Comédie, sans l’adjectif parasite  d i v i n a. Malgré ce qu’en pense Carlo Ossola.

C’est vraiment grotesque, après tous les psaumes et les prières dont résonne tout le Purgatoire, éliminer le mot qui en soi les résume tous ! Danièle Robert, dans cette émission du 23 septembre 2016, dont j’ai parlé dans le texte précédent, dit sur les ondes de France culture que le terme  c a n t i c a  ne signifie rien pour elle, elle l’a dit à haute voix, aussi haute que celle de Carlo Ossola qui dans l’Istituto italiano, pendant la présentation de son Introduction …, disait, et cela sonnait comme un ordre, qu’ « après tant de siècles il faut dire la Divine Comédie », non La Comédie ! Tous les deux se trompaient…

II

Quand je vois comment Danièle Robert avait résolu l’importante question des bilinguismes dans le Purgatoire ‒ non seulement des incipits des psaumes je ne m’étonne pas beaucoup qu’elle ait, à la fin, rejeté le terme cantica. Son jazzysme a été fatal dans cette décision. Un mot dans lequel tout chante, c a n t i c a, elle l’a remplacé par un autre dans lequel tout se tait,  p a r t i e !

            Après l’Enfer, où elle a tellement nui aux quelques vers ou mots écrits en langues étrangères ‒ surtout  M i s e r e r e  di me du chant I, 65, traduit  par elle par une  P i t i é (sans de moi) en plus placée à la fin du vers là où elle ne se trouve pas chez Dante* ; ainsi qu’A l e p p e  du début du chant VII remplacé incroyablement par un  a h i  ‒ Danièle Robert a continué à détruire systématiquement ce résau bilingual dans la deuxième « partie », comme elle appelle la seconda cantica, le Purgatoire.

* Que mon lecteur ne pense pas que je pense que chaque mot de Dante doit occuper la place qu’il occupe en original ! Bien sûr que non, mais certains mots de La Comédie ‒ si dans la mesure du possible on respecte sa partition ‒ doivent. Tel mot est  M i s e r e r e ‒ il y en a d’autres ‒ qui progressivement se répète dans le Purgatoire et le Paradis.

Cela commence pratiquement dès le début, au chant II, 46 :

In exitu Isräel de Aegypto…

Début du psaume CXIII chanté par les âmes qui arrivent dans la barque guidée par l’Ange. Il est vrai qu’en français n’existe aucune, et encore moins deux rimes  régulières avec   Ae g y p t o, mais Danièle Robert nous a déjà habitués à tant de rimes irrégulières et incorrectes qu’elle aurait pu « inventer » encore quelques-unes et « sauver » le texte latin, mais elle préférait le traduire :

De l’Egypte Israël étant sorti…

Elle traduit en un français qui n’a rien de cette simplicité directe du vers latin, elle fait sa propre version du texte biblique, dans laquelle « étant sorti » est une construction ‒ que j’appellerais je ne sais pas comment ‒ qu’elle a « piquée » à elle-même du début de l’Enfer, « étant à mi-chemin… » ; elle a « lié », dans sa traduction, ces deux « étant » qui d’aucune façon ne se trouvent dans l’original*.

* Par ce second « étant », elle a diminué la valeur (spatiale) du premier que Carlo Ossola vantait tellement pendant la présentation de l’Enfer, pour conclure assez ironiquement, en tant qu’un « petit lecteur », que cet « étant », avec la « broussaille » et « envol de folie » sont suffisants pour justifier une (« avortée », on sous-entend) traduction.     

Après ce début « avorté » (l’expression est à elle, voir sa préface, page 17, pour l’Enfer), avec l’adaptation du psaume CXIII, on se trouve devant une, je l’appellerai ainsi,  m i e t t e  b i l i n g u e, chant III, 37 :

State contenti, umana gente, al quia.

Facile à prononcer, facilement compréhensible pour un lecteur français, ce petit mot de deux syllabes, un « bijou scolastique » sauvé et élaboré par Dante ‒ qui ne l’oubliera pas, comme il n’oublie rien, et va même le promouvoir en un beau latinisme dans le vers 92, chant XX, du Paradis : quiditate ‒ est devenu sous la plume lourde ‒ et surtout pas sous l’enclume enchantée ‒ de D. Robert une plate expression banale :

Contentez-vous, humains, du c’est ainsi.

Même Jacqueline Risset, son idole qu’elle a reniée* le 23 septembre 2016 au cours de cette émission sur France culture, garde dans sa traduction en vers libre ce petit et merrveilleux  q u i a !

* Mais elle accepte tout-à-fait la phrase de François Xavier qui dit que « La traduction de Danièle Robert renvoie la traduction de Jacqueline Risset dans les ténèbres de l’oubli ».           

Si vous pensez, après ces deux exemples, que Robert va systématiquement traduire tous les vers, demi-vers, ou mots latins, ou d’une autre langue, en français, vous vous trompez. Elle oscillera entre les deux possibilités : garder les bilinguismes tels quels, ou les traduire, un procédé qui résulte par une vraie ‒ incohérence !

     Dans le chant V, 24, apparaît pour la deuxième fois dans La Comédie, le fameux mot  M i s e r e r e, chanté par les violents :

Cantando Miserere à verso à verso.

Dans sa traduction elle garde le mot miserere à l’intérieur du vers, mais elle oublie qu’elle a déjà traduit cet incipit du psaume L par  P i t i é  dans le premier chant de l’Enfer ! Si elle ‒ qui m’a si violemment critiqué d’être incohérent là où j’étais on ne peut pas plus cohérent ‒ voulait être cohérente, elle aurait dû garder cette première solution, par exemple : Chantant Pitié…, mais non. elle a non seulement et vaguement compris qu’il y a chez Dante un certain développement d’images, elle s’est rappelée de ce premier  Miserere, mais ‒ ahi ‒ le péché a été rimé et imprimé ; pour réparer cette faute, elle fait quoi ? Vous ne croirez pas, mais elle « attaque » Dante et ruine son texte en traduisant cantando  par :                       

Psalmodiant Miserere vers à vers.

(Vers à vers, bizarre expression, voulait-elle dire : vers après vers, ou vers par vers ?) Danièle Robert, qui nous a fait une brève mais terrible leçon sur le chant grégorien et la polyphonie sur les pages 11 et 12 de sa préface pour le Purgatoire, ne distingue pas ces deux verbes : chanter et psalmodier.  Tout le monde peut chanter, mais seulement ceux qui  s a v e n t  chanter peuvent psalmodier. Dante le dit très clairement. Non seulement les âmes violentes, même les princes et les rois de la Vallée, chant VII, et après, n’ont pas le droit de psalmodier. Voici une terzina du chant VII, 82-84, qui prouve ce que je viens de dire et dont la traduction de Danièle Robert montre toute sa faiblesse dans l’ « agencement » (expression est d’elle) des incipits latins :

                                   Salve Regina in sul verde e ’n su’ fiori
                                        quindi seder cantando anime vidi,
                                        che par la valle non parean di fuori.

Beau tercet où toute la technique polyphonique de Dante commence à se montrer aussi audible que visible. Mais les protagonistes qui y sont… chantent : il est logique que le début de la prière : Salve… « ouvre » la strophe, mais ce n’est pas le cas dans la traduction dont il est ici question. Comme souvent ailleurs, mais ici réellement brutalement, Danièle Robert a renversé l’ordre des voix ‒ son fameux   o r g a n u m ‒ et son tercet devient spécialement dissonant, cacophonique :

                                        Je vis, assises dans le vert et les fleurs,
                                   des âmes qui chantaient Salve Regina,
                                   et que la vallée cachait à l’extérieur.

(Que fait cet et au début du troisième vers ?). Déplacer, comme elle l’a fait, Salve Regina, du début du premier vers à la fin du second, et le faire rimer (si c’est rimer) misérablement avec

Avant que le Soleil couché ne soit…

(Encore un germanisme insupportable : couché ne soit, il faut le dire), c’est vraiment la preuve que pour Danièle Robert rien n’est sacré, c’est-à-dire interdit ! Voici ma solution pour ces quatre vers :

                                   Salve Regina, sur la verdure et les fleurs
                                        c’était des âmes assises le doux chant,
                                        que l’on ne voyait pas de l’extérieur.
                                   Avant l’ultime flamme du couchant…

Dans le même chant, vers 123, Dante décrit un duo de chanteurs : cantando, con colui ; à la fin du chant IX, capital pour comprendre la « vision musicale » de Dante, on ne  p s a l m o d i e  pas encore, car après quando a cantar con organi…, le chant se termine par une conclusion visionnaire* de Dante sur le rapport entre les sons et les voix (problème qui fera dans les siècles suivants s’arracher les cheveux aux papes) par un vers magnifique :

Ch’or sì or no s’intendon le parole,

traduit par Danièle Robert non seulement lourdement, mais faussement, car elle pense qu’on chante les mots, et non les paroles :

                                   Et que s’entendent alors, ou non, les mots.

(Que fait encore ici cet et au début du vers traduit ? ; comment on peut dire en traduisant un poète du doux style nouveau : Alors, ou non,… ?). Si on re-traduit cette dernière image proposée par Robert, on peut conclure qu’elle a imaginé, malgré son fameux  o r g a n u m,  un « chant parlé », donc recitativo ! Et alors, on comprend pourquoi elle a traduit  c a n t i c a  par  p a r t i e. C’est vrai, il n’est pas facile de trouver une traduction de ce vers en gardant le parole de Dante à la fin. J’ai, une quinzaine d’années avant Robert trouvé cette solution :

                                   Dont plus ou moins on entend le texte.

Dans ce même fragment du chant IX, au vers 140, Dante introduit l’incipit du grand hymne écrit au Vème siècle par le slave Niketa, Te Deum laudamus, que Danièle Robert raccourcit, « agence » sans broncher, en Te Deum, en créant un vers musicalement, non rythmiquement, boiteux, plutôt une information que traduction d’une image chantante.

            Et c’est ainsi tout le temps : elle raccourcira, déplacera, inversera, francisera, soumettra à ses caprices les vers latins de Dante, jusqu’à l’absurde : car, même quand Dante propose trois rimes latines senis / venis / plenis ‒ une triple rime unique dans La Comédie ‒ elle les repousse, comme si c’était les cadeaux empoisonnés, et propose les siens : vie / venis / les lys ! Ô structure voulue par Dante, qu’es-tu devenue dans l’édition de son Poème chez Actes Sud ?!

            Encore un exemple, très spécial, qui montre comment Dante « composait » sa partition l’ornant de ces accords latins. Dans le chant XIX du Purgatoire on lit deux vers, 50 et 136, où se trouvent ces deux incipits :

                                    Qui lugent affemando esser beati ;
                                    Che dice : Neque nubent intendesti.

On voit l’intention de Dante ; il veut contrepointer (verticalement) non seulement le sens de ces deux expressions, dont une est le répons à l’autre, mais prolonge le jeu et propose une rime, plutôt une forte assonance, lugent-nubent, en sachant qu’à l’intérieur des vers elle a tous les droits d’exister, mais non à la fin des vers. Cette « contrainte » ne signifie rien pour Danièle Robert et elle traduit capricieusement :

                                    Affirmant que qui lugent sont heureux
                                    L’Évangile qui dit Neque nubent

Et ce nubent rime non seulement fautivement, mais maigrement, avec : chemin, comme si le lecteur devait prononcer nuben sans le t final pour avoir une rime quelconque. Voici ma solution :

                        Qui lugent, les disant bienheureux
                        Qui dit Neque nubent, tu saisis la clé.

Mais le comble de son comportement avec les bilinguismes de Dante, Danièle Robert l’a atteint non avec les citations latines, mais avec les huit vers en provençal prononcés par le troubadour Arnaut Daniel à la fin du chant XXVI :

                                    El cominciò liberamente a dire :
                                        Tan m’abellis vostre ortes deman
                                        qu’izu no me puesc ni voill a vos cobrire.
                                   Ieu sui Arnaut, que plor evau cantan ;
                                         Consiros vei la passada folor,
                                        E vei jausen lo joi qu’esper, denan.
                                   Ara vos presc, per aquella valor
                                        que vos guida al som de l’escalina,
                                        sovenha vos a temps de ma dolor.
                                   Poi s’ascose nel foco che li affina.

 Cette octave dans la langue des troubadours est extrêmement importante. Dante y montre qu’il était capable d’écrire La Comédie en provençal ; Dante y montre qu’il connaissait profondément la poésie du poète périgourdin ; Dante y montre qu’il connaissait aussi profondément la technique poétique troubadouresque, et au milieu de ses rythmes de onze syllabes il introduit une strophe de dix syllabes, et réalise ainsi une sorte de fraternité des langues ; Dante a montré ici tout son art combinatoire en réalisant, avant le début et après le fragment provençal, par les rimes toscanes et provençales, une versification bilingue, en montrant ainsi une possibilité que les poètes après lui n’ont pas tellement, ou point, suivi.

            Le traducteur devrait être non obligé ‒ il suffit de voir ce que Danièle Robert en a fait ‒ mais excité devant un tel défi : garder le texte original et le « lier » par les rimes au texte toscan, en donnant, dans une note, la traduction du texte provençal si c’est possible en vers. Robert a encore une fois utilisé son « fer à repasser » et ce moment dans sa traduction n’est point musical, donc sonne creux, plat. Inutile de le citer, mais plutôt de protéger « le meilleur forgeron » de cet énorme gauchisme de quelqu’un qui nous a promis, ensemble avec son éditeur, de rendre, enfin, la « structure voulue par l’Auteur », comme si la « structure voulue par l’Auteur » se bornait au rythme et à la terzarima !

            Toute la traduction du Purgatoire de Danièle Robert fourmille de ces faiblesses dues au manque désespérant de toute virtuosité. Pour terminer cette désagréable démonstration, je citerai un fragment du chant XXVIII où Dante rime, mais Robert non, le début du psaume CXCI :

                             … Maravigliando tienvi alcun sospetto ;
                                         ma luce rende il salmo Delectasti,
                                        che puote disnebiar vostro inteletto.
                                   E tu che seé didanzi e mi pregasti,
                                        di s’altro vuoli udir; ch’i‘ venni presta
                                        ad ogne tua question tanto che basti.
                                   « L’acqua », diss’ io, « e’l suon de la foresta… »

La rime composée et riche, delectasti / pregasti / che basti (e + asti), digne des Grands Rhétoriqueurs (français), que j’admire, surtout Jean Molinet, plus que personne, laisse au traducteur une occasion de montrer sa virtuosité rimatoire, sur la plus haute corde, comme dirait Baudelaire. Voici l’interprétation de Danièle Robert qui a renoncé d’avance à tout en enfouissant, par habitude, Delectasti  à l’intérieur du vers. C’est la servante de Béatrice, Matelda, qui parle :

                                   … Un certain soupçon vous a-t-il étonnés ;
                                   mais par le Delectasti, psaume éclairant,
                                   votre esprit pourra se désembrumer.
                                        Et toi qui m’a parlé, qui est là devant,
                                   dis ce que tu veux savoir ; me voilà
                                   prête à répondre à ce que tu attends.
                                        « L’eau et le bruit de la forêt en moi… »

Voici mon élaboration de ce fragment et j’attire l’attention du lecteur aux trois rimes extrêmement riches : Delectasti / cet état, si / très exacts-ci (e + e + asti), du jamais vu dans la poésie traduite française :

       … Peut-être mal son charme vous décrit ;
     mais par sa clarté le psaume Delectasti
     pourra chasser la brume de vos esprits.
Et toi qui est là et dans cet état, si
     tu veux en savoir plus, dis ; j’aurai
     à tes questions des mots très exactes-ci.
 « L’eau », dis-je, « et le bruit de la forêt… »

Il était question au début de ce texte du  c h a n t e r  et du  p s a l m o d i e r. Dante a très clairement divisé ces deux possibilités vocales, et la ligne qui les sépare est très nette. Pendant presque tout le Purgatoire, tous chantent ; ce n’est qu’au début du chant XXXIII, dans le Paradis terrestre ‒ nous ne sommes donc plus au Purgatoire ‒ qu’on psalmodie. Et qui psalmodie ? Ce ne sont ni les ombres violentes, ni les princes, ni les rois de la Vallée, mais les deux groupes composés de trois et de quatre chanteuses autour de Béatrice, les Vertus théologales et cardinales, le moment où Dante pressent la qualité stéréophonique de la musique car il créé deux « cori spezzati », trois siècles avant ceux de Vénise, Zarlino, Willaert, ou les cousins Gabrielli* ! Si Danièle Robert le savait, elle n’aurait onc traduit Cantando Miserere… par Psalmodiant Miserere…

* Pourtant, dans L’Introductio à La Divine Comédie… de Carlo Ossola pas un seul chapitre, ni sous-chapitre, même pas un seul mot sur la Musique de Dante, qui est d’abord poète-musicien, et après peut-être théologien ou philosophe, je dirais plutôt l’historien en vers de la théologie et de la philosophie… Si j’ai dit que Dante était « un musicien manqué » (et je ne dis pas « raté »), il serait intéressant de savoir pourquoi. Un jour je donnerai mon explication. Pour le moment je dirai que je le « vois » comme un bon critique musical et le musicologue accompli, capable de s’exprimer musicalement par les mots…