rasko

27. Les bilinguismes de Dante tr a h i s par Danièle Robert (II).

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

EN ATTENDANT LE PARADIS
DANS LA TRADUCTION DE DANIÈLE ROBERT, 

LES BILINGUISMES DE DANTE
TR A H I S par DANIÈLE ROBERT [II] 

Deux graves non-vérités de D. R.

 

Le 23 septembre 2016, après la sortie de sa traduction de l’Enfer chez Actes Sud, au cours de l’émission Poésie et ainsi de suite…, à la France culture, Danièle Robert, questionnée par la journaliste Manou Farina, si je ne me trompe pas de nom, confirme qu’elle est la première et la seule à avoir traduit La Comédie de Dante, tout en respectant le rythme de onze syllabes (hendecasillabo) et la triple rime (terzarima). J’ajoute qu’elle a répété la même confirmation plusieurs fois, pendant ses interviews à la radio, sans doute à la Télé, dans les journaux ou pendant lеs présentations publiques de sa traduction.

            C’est une énorme non-vérité, deux non-vérités même. Sa traduction des deux premiers cantiques ‒ qu’elle refuse de traduire comme « cantique » mais méchamment « partie » ‒ Enfer et Purgatoire, en donne des preuves irréfutables. Je me demande comment peut-t-elle jurer une telle chose, d’avoir traduit Dante en vers de onze pieds, si déjà le premier vers de sa traduction n’en a que dix :

                                   Étant à mi-chemin de notre vie (?)

Si vous vous arrêtez sur la première page de sa traduction de l’Enfer, vous trouverez, parmi les 18 vers, plus de la moitié qui sont de dix syllabes :                                  

                                   La route droite ayant été gauchie
                                   Ah ! combien en parler est chose dure
                                 de cette forêt rude et âpre et drue
                                   qui à nouveau un effroi me procure.
                                   Mais pour traiter du bien que j’y trouvai,
                                   Je parlerai des choses que j’ai vues.
                                   Étant alors si plein de somnolence
                                   que de la route vraie je m’écartai.
                                   Où cette vallée avait abouti
                                   levant les yeux ses épaules je vis
                                   qui conduit droit par tous chemins autrui.

Je n’ai rien personnellement contre les décasyllabes en tant que tel ‒ pourtant je ne peux ne pas remarquer combien ces vers ainsi « isolés » sont mal traduits ‒ le seul problème c’est que quand Danièle Robert parle du rythme hendécasyllabique de Dante et de son application dans sa traduction, elle ne  parle que des vers de 11 syllabes, en se vantant d’être la première à avoir respecté le rythme proposé par Dante. C’est la première très grave non-vérité de Danièle Robert.

            Dans la même émission du 23 septembre 2016, mais aussi ailleurs, Danièle Robert se vante d’être la première à avoir traduit en français la terzarima, grande invention de Dante, ce que tout le monde et même les oiseaux sur leurs branches savent. Mais la réalité est encore pire qu’avec le rythme. Plus de 40% de sa traduction est une énorme trahison ‒ et en contradiction avec ce qu’elle raconte à ses interlocuteurs ‒ due, dans sa traduction, aux « rimes » le plus souvent « irrégulièrement irrégulières » (car il en existe de « régulièrement irrégulières, qui sont parfois plus belles que les rimes « régulièrement régulières »), puis les rimes-assonances ‒ que Dante connaissait mais n’a jamais pensé à employer à la fin des vers ‒ et les rimes a-rimes, c’est-à-dire totale absence des rimes, celle qui triomphent dans la traduction de Danièle R. !

            Exemples des rimes « irrégulièrement irrégulières » dont sa traduction abonde (j’en prends quelques-unes du premier chant de l’Enfer, mais elles sont très nombreuses et partout, et je les vois même dans sa traduction du Paradis encore non publiée) :

                        Drue-plus ; volontiers-désespéré ; hérité-détourné ; ville-Envie ;  fraie-donner…, etc., etc…

Bien sûr, je n’ai trouvé aucune rime « régulièrement irrégulière », car elle est même plus difficile à trouver qu’une rime « régulièrement régulière » !

            Je donne quelques exemples des rimes-assonances (ou assonancées) très fréquentes chez elle et qui n’ont rien à faire avec ce qu’on appelle la versification de Dante, laquelle va du simple au métaphysique, soumise à un système dont on ne voit même l’ombre dans sa traduction, ni dans l’Introduction à la Divine Comédie de Carlo Ossola. Ce genre de rimes qu’abondamment pratique Danièle Robert,  fait penser aux chants folkloriques ou les comptines (pas les meilleurs) :

                        Abouti-vis ; celle-ci-appétits ; contrebas-vois ; tard-illusoires ; pitié-été ; Troie-tracas ; crier-tuer…, etc., etc…

Exemples des rimes a-rimes, ou les rimes abolies ; pour les trouver il suffit de rester encore dans le premier chant de l’Enfer ; l’exemple qui suit n’appartient à aucune catégorie connue dans les manuels de la versification. Voici les vers de Dante :

Nacqui sub Julio, ancor che fossi tardi,
     e vissi a Roma sotto ’l buono Augusto
     nel tempo de li déi falsi e bugiardi.
Poeta fui, e cantai di quel giusto
     figliuol d’Anchise he revenne di Troia
     poi che’l superbo Illión fu combusto..                         

Voici la traduction de la « première » traductrice, ainsi auto-proclamée et soutenue par son éditeur et les autres, amis et journalistes, de la terzarima en français :

                                        Je naquis sub Julio, quoiqu’assez tard,
                                   et vécus à Rome sous le grand Auguste
                                    à l’époque des dieux faux et illusoires*.
                                        J’étais poète et j’ai chanté le juste
                                   fils d’Anchise, celui qui vint de Troie,
                                   après l’incendie de l’orgueilleuse Ilion.

* Dire « illusoires » pour « bugiardi » ! Avec mon « petit français » je dirai que Robert est capable de sacrifier le bon sens (goût) et la signification d’un mot pour une rime nulle ‒ illusoire. Elle pouvait peut-être dire « illusionistes » mais terminer deux terzinas sans la rime aurait été trop !

Consciente de cette « apocalypse, wow », qu’elle appelle « une légère modification » ‒ Auguste-juste-Ilion ‒ abandon total de ce qu’elle a promis, Danièle Robert recourt, comme dans d’autres semblables occasions, à une note qui montre qu’elle est prête à tout pour justifier ses non-vérités. Il faut lire, il est délicieux ce gauchissement : 

« Dante met dans la bouche (N. B : quelle expression inélégante ! mettre dans la bouche, au lieu, par exemple : fait dire) de Virgile les termes utilisés par celui-ci dans l’Énéide, III, v. 2-3 : reciditque superbum / Ilium, qui fut tombée l’orgueilleuse / Illion . Le respect de cette citation entraîne une légère modification dans l’agencement des rimes sans nuire à l’harmonie de l’ensemble, puisque cette terminaison est reprise dans la terzina suivante. »

C’est vrai ‒ et c’est encore plus invraisemblable ‒ que dans la terzina suivante Robert rime « Ilion » avec « mont », et définitivement se montre maître-maîtresse de « l’agencement » et des « modifications légères » ‒ Dante m’en garde ! ‒ et me fait penser à cette O Aragne folle, ou plus à un autre vers de Dante :

Del non, …………, vi si fa ita*.

* Encore un bilinguisme dialectal  i t a  que Danièle Robert « repasse », comme on repasse un vêtement au fer, et le traduit par l’ « oui », pratique ‒ de « repassage » ‒ qui détruira systématiquement tous les beaux moments bilingues dans le Purgatoire.

Fa… Par cette note  f a  Dante suggère quelques autres mots, Danièle Robert sait bien lesquels ‒ falsi, falsificare, falsificatrice ‒ car elle prêche publiquement que « chaque mot chez Dante a plusieurs degrés de signification, jusqu’au quatrième (degré) ». (C’est une exagération irréfléchie de sa part, mais passons)  Les agencements et les modifications que pratique Danièle Robert, aussi légères soient-t-ils, si elle ne les reconnaît comme ses faiblesses ‒ c’est tellement humain ‒ au lieu de les justifier par les plus brutales parodies de notes, pour moi sont et seront de pures et pires errori non falsi !

            Conclusion : Robert ne dit pas la vérité quand elle se vante aux micros ou ailleurs, qu’elle a, la première, respecté le rythme et la versification de Dante. Au contraire, je pense qu’il s’agit, dans son cas, d’un travail qui n’a rien à voir avec la poésie, c’est-à-dire avec Dante, dans un sens très large et le plus strict du mot.  

            Ce cas frappant, dans le chant I de l’Enfer, de destruction, de dénaturation de la versification de Dante, malheureusement pour elle, n’est pas unique. Dans le Purgatoire il se répète, si j’ai bien repéré, encore deux fois ! Dans ces deux cas, au chant V et XI, Danièle Robert se trouvait devant un problème assez difficile, de trouver ‒ car elle devait prouver qu’elle est la première terzarimeuse dans l’histoire de la traduction de Dante en France ‒ la troisième rime avec Carlo-parlo, Charles-parle ! Comme je connais toutes les rimes françaises, depuis Hélinand de Froidmond jusqu’à Réda et Roubaud, il me semble que jamais, dans cette longue histoire ‒ dont à cette heure la plupart des Français ont honte, quel dam ! ‒ aucun poète n’a proposé la troisième, puisque Arles n’a grand-chose à faire avec Charles tu parles !

            Voici ces deux fragments du Purgatoire en toscan :

                                   E uno incominciò : « Ciascun si fida
                                        del beneficio tuo sanza giurarlo,
                                        pur che ’l volernonpossa non ricida.
                                   Ond ’io, che solo innanzi a li altri parlo,
                                        ti priego, si mai vedi quel paese
                                        che siede tra Romagna e quel di Carlo, (Purg., V, 64-69)

                                   …..

                                   e li, per trar l’amico suo di pena,
                                        ch’ e’ sostenza ne le prigion di Carlo,
                                        si condusse a tremar per ogne vena.
                                   Più non dirò, e scuro so che parlo ;
                                        ma poco tempo andrà, che‘ tuoi vicini
                                        faranno sì che tu porrai chiosarlo.    (Purg., XI, 136-142)

Suivent deux traductions de Robert :

     Et l’un commença : « Chacun de nous a foi
en te bienfaits sans besoin de jurer,
si le non-pouvoir le vouloir n’exclut pas.
     Moi qui tout seul avant les autre parle,
Je te prie, si jamais tu vois la contrée
Sise entre la Romagne et l’État de Charles, (Purg., V, 64-69 )

…..

     et là, pour sortir son ami de la peine,
qu’il devait purge dans la prison de Charles,
il se mit à trembler de toutes ses veines.
     Je n’en dis plus ; je sais qu’obscur je parle ;
mais d’ici peut de temps tes concitoyens
t’éclaireront sur ce que je déclare.      (Purg,, 136-142)                                              

Sans parler des « petits riens » dans sa traduction ‒ pourquoi « l’État de Charles » au lieu « celle de Charles » ; pourquoi « je sais qu’obscur je parle » au lieu, par exemple, « je sais qu’obscurément je parle », etc. ‒  comment ne pas remarquer que Danièle Robert, dans son énorme mission de traduire Dante convenablement, enfin, la première en France, a deux fois échoué là où elle  d e v a i t,  où elle avait une véritable occasion de nous  donner la preuve de sa grande virtuosité rimatoire ! Mais rien de tout ça ; dans le premier fragment elle a carrément abandonné le défi et fait une terzine définivement annulée-abolie : jurer -Charles-parle, et dans  le deuxième, fragment, elle s’est, comme elle le sait, débrouillée et consolée par parle-Charles-déclare, la solution aussi loin que tant d’autres de son idéal publiquement annoncé.

            Dans l’Enfer, elle a donné une longue et point convaincante explication pour la destruction de la terzina Troie-Iliòn, mais dans le Purgatoire, elle n’a plus rien à expliquer à personne, surtout pour s’excuser de ses faiblesses, quoique, dans les situations moins exigeantes Robert aime dire : « Pour les besoins de la rime* », etc. ! Ici, où il s’agissait d’une plus dangereuse joute, elle n’a accompagné cette absence de rime d’aucune note !             

* Cette façon de parler techniquement de Dante me plaît, mais il suffit de voir la solution que Danièle Robert a trouvée pour la première rime de La Comédie, vita / smarrita,  vie / gauchie, et d’en entendre ses raisons, pour se rendre compte combien un traducteur peut s’éloigner dans un seul vers, et capital, du poète qu’il traduit ! Le comble, c’est qu’elle s’est donné droit d’expliquer ce fameux vers ‒ voir l’émission du 23 septembre 2016 ‒ :

                        Ché la via diritta era smarrita

non dans son original , mais à partir de sa traduction. Quelle phénoménal gauchisme, quelle jamais vue déviation !   

Un peu plus haut j’ai parlé des rimes « irrégulièrement irrégulières », qui se trouvent sur chaque page de sa traduction de l’Enfer et du Purgatoire (on verra pour le Paradis, quand il sortira), dont j’ai donné quelques exemples ; mais j’ai aussi parlé des rimes « régulièrement irrégulières », qui ne se trouvent pas chez Danièle Robert, elles appartiennent à un groupe pour lequel est nécessaire une science qu’elle est loin de posséder. Ce genre de rimes se trouve dans toute ma traduction de La Comédie, elles sont d’une, de deux ou de trois syllabes et exigent parfois une lecture spéciale ;  à cette occasion j’en donne quelques unes de l’Enfer :

                                   Flux ‒ plus ‒ plut
                                   a ses ‒ assez ‒ aspect
                                   aller ‒ palais ‒ pâle est (lire : pàlé)
                                   punition ‒ buisson ‒ puis sont (lire : puisson)
                                   effrayé ‒ veillez ‒ feuille et (lire :feuillet)
                                   Etc., etc.

Quelqu’un qui, comme Danièle Robert, dit au micro, je cite : « On n’écrit plus des vers rimés » ; « C’est rétrograde d’écrire des vers rimés, ça ne se fait plus aujourd’hui » ‒ sa traduction complète basée sur une versification sans aucune invention est la meilleure preuve qu’elle avait ses raisons ce disant ; elle ne devait jamais se jeter dans cet « art de perte », comme elle appelle la traduction poétique, lequel pour elle ne sera que l’art de perdition*. Moi qui depuis plus de 55 ans rime Nacht und Tag, Tag und Nacht, je ne peux dire à tout cela, que Vade retro (traduction libre : Prends métro).

* Elle me fait penser à une dame, traductrice de l’italien, qui disait la même chose devant les étudiants une après-midi dans une salle de la Sorbonne, où je me suis trouvé ayant reçu l’invitation ; mais quand j’ai dit quelques mots à la défense de la rime, Echardy assistant de Masson m’a tout de suite ôté le micro comme si j’étais un clochard qui s’était caché dans l’amphithéâtre pour trouver un peu d’ombre car c’était déjà fin du printemps, il faisait assez chaud dehors, et qui par pur loisir voulait dire n’importe quoi pour passer le temps !    

Je donne, comme d’habitude, mes solutions pour ces deux cas Charles-parle, dont il s’agissait dans ce texte, avec deux propositions pour la troisième rime en arle, du jamais vu encore dans la versification française :

                                   Et l’un commença : « Tu n’es pas perfide
                                        et on te croit sans que tu jures par le
                                        sort, si non-pouvoir autrement ne décide.
                                   C’est pourquoi moi qui avant tous parle,
                                        je te prie, si jamais tu vois la terre
                                        sise entre Romagne et celle de Charles…, »

                                   ….

                                   Et là, pour tirer son ami de la peine
                                        qu’il endurait dans la prison de Charles*,
                                        il fit frémir le sang dans les veines.
                                   C’est tout ; et obscurément je parle ;
                                        mais bientôt tes voisins vont y faire
                                        pour que toi tu te l’expliques à part ; le
                                   Grand geste lui ouvrit nos frontières.                                       

                        * Dans les deux cas, c’est toujours le même Charles II d’Anjou.                       

(à suivre)

26. Les bilinguismes de Dante tr a h i s par Danièle Robert (I).

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

EN ATTENDANT LE PARADIS
DANS LA TRADUCTION DE DANIÈLE ROBERT, 

LES BILINGUISMES DE DANTE
TR A H I S par DANIÈLE ROBERT [I] 

Un soggeto cavato de Dante 

 

Avant de trouver sa « vers les étoiles sortie » ‒ c’est-à-dire de finir avec sa traduction de l’Enfer ‒ Danièle Robert avait encore un dernier bilinguisme à « régler ». On sait que le dernier chant du premier cantique commence par un vers entier en latin ‒ que Dante avait légèrement adapté pour cette occasion ‒ lequel par un enjambement « tombe » dans le vers suivant sans plus être latin , mais toscan :

                                 Vexila regis prodeunt inferni
                                       verso di noi ;

Cette « chute » et la transformation d’une langue dans l’autre sans aucune gêne
grammaticale ou prosodique pourrait être comparée à ce vers du chant XX, 77, de l’Enfer :

                        Più non Benacco, ma Mincio se chiama.

Mais il y a plus, comme c’est le plus souvent le cas chez Dante. Ici un lecteur, non celui qui  « court » à travers le Texte, mais attentif, celui qui « note tout » ‒ sur lequel Dante compte beaucoup, comme nous avons déjà vu ‒ se souviendra du même, mais minimaliste,  « effet bilingue » réalisé dans le vers 57 du premier chant de l’Enfer :

                                                   Miserere di me…   

Je dirais que Vexila regis… est une progression (bilinguique), un élargissement de ce Miserere… car le dolce pedagogo Dante sait que son lecteur rencontrera d’autres situations, un peu plus compliquées, dans la suite de La Comédie.

C’est ma forme de lire Dante. Et je ne crois pas que je me trompe : j’ajouterai même une ou deux remarques. Si l’on observe le premier mot du vers 1 du chant XXXIV, v e x i l l a, et puis le premier mot du vers 2 du même chant, v e r s o, comment ne pas remarquer qu’ils commencent par l’initiale du guide de Dante*!

* Si Danièle Robert dit que je suis, en disant cela, « devenu fou (crazy) » ‒ puisque c’est ainsi qu’elle m’a traité dans sa Préface, page 17, pour l’Enfer, aussi qu’Echardy assistant de Masson à la Sorbonne, devant tous les étudiants d’une classe (parmi lesquels se trouvait un de mes deux fils, témoin final, mais il ne le savait pas, Echardy !) ‒ je lui dis quand même de continuer la lecture de ce texte, pour enfin apprendre des choses qu’elle n’a pas pu certainement pas trouver dans maintes introductions à Dante, ni dans celle de Carlo Ossola, dernière en date.    

Je dis plus : non seulement que le « V » du premier, et le « v » du second vers nous obligent à reconnaître l’initiale de Virgile, mais je dis beaucoup plus : qui lisant et regardant le mot  v e x i l l a  ne pense pas tout de suite au nom de   V i r g i l i o ; qui ne « voit » et n’entend pas le mot essentiel, celui qui a « poussé » Dante à écrire La Commédie  telle quelle, e s s i l i o, il a de graves problèmes avec la vue et l’ouïe !

            Pensons à Dante au moment où il commençait le chant XXXIV de l’Enfer. Je suis absolument sûr qu’il a « préparé », dans sa planification du Poème, le début de ce chant beaucoup plus en avant en attendant le meilleur moment pour introduire ce latinisme. Il a eu assez de temps pour réfléchir et sur l’hymne catholique et surtout de son commencement d’une extraordinaire sonorité. Vous pouvez imaginer Dante prononçant  V e x i l l a  sans se rendre compte de l’énorme énergie que ce mot possédait pour lui ?  Car il ne s’agissait pour Dante d’une utilisation banale/normale ‒ même avec cette déformation, importante, mais qui a attiré trop l’attention et de l’Église et de nombreux commentateurs ‒ mais d’un puissant symbole au, au moins, triple sens, ou degrés de signification :

  1. V e x i l l a  ‒ Commencement d’un hymne (pour tous) ;
  2. V e x i l l a ‒ Initiale de Virgilio (pas de n’importe qui);
  3. V e x i l l a ‒ Essilio, même Essilia (de Dante).

Pourtant, ces trois étapes ne sont qu’une ébauche du Grand Effet que Dante prépare pour la fin de La Comédie, au début du dernier chant, où, dans le premier vers les ailes du nom de Virgile vont se déployer dans toute leur envergure, telles un aigle, avec une symétrie hallucinante. Ce vers n’est pas prononcé par n’importe qui, mais le dernier guide de Dante, Saint Bernard, celui qui sait :

                            VERGINE MADRE FIGLIA DEL TUO FIGLIO.

Dante a choisi cette prière parce qu’elle contenait, en disposition parfaite, le « soggetto cavato », de même et aussi parfaite façon que le nom du duc Gonzague avait servi à Josquin Desprez, deux siècles après. Si dans l’hymne Vexilla regis… le nom de Virgile est annoncé par l’initiale V, le nom entier se trouve dans les  15 (quinze) premières lettres, en forme d’une anagramme à l’état brut qui parfaitement correspond à la situation dramatique dans laquelle Dante se trouvait avant de se jeter au fond de l’Enfer pour en sortir:

                                   VEXILLA REGIS PRO …

 Nous assistons à la création du quatrième degré de signification, absolu, par la transformation du VEXILLA en VERGINE, deux mots chacun de sept lettres, et je laisse aux ésoteriques cabalistes, en tête avec René Guénon, d’y trouver d’autres sens !

            J’ai dit plus haut que je suis sûr que Dante avait « préparé » le Vexilla regis… longtemps avant le chant XXXIV de l’Enfer ; maintenant je vais plus loin et dis que Dante, au moment où il aurait trouvé, dans  le vrai sens du mot, le début pour le chant XXXIV, avait,  a u m ê m e  m o m e n t, la solution ‒ la réponse contrapunctique ‒ pour le début du chant XXXIII du Paradis ! Vergine est la réponse à Vexilla*, la façon, entre autres, de Dante de s’excuser à l’Église, mais je ne pense pas qu’elle a compris le message.

* Je ne peux pas, et je ne veux pas, prouver ce que je viens de dire dans ce texte. mais pour ma « défense » je dirai que Dante me ressemble au poète Lycophron  ‒ qui aussi cultivait la poésie plurilingue ‒ dont Stéphane Mallarmé disait ‒ dans une lettre à Calixtre Rachet, je pense ‒ que Lycophron lui ressemblait à un conducteur du char qui en même moment tient en ses mains dix brides, chacune pour un cheval ! Quant à moi, je dis ‒ et je le compris en traduisant La Comédie ‒ que Dante « pensait »  sa Commedia 10 000 vers d’ « avance » ‒ je l’imagine avec 15 brides et autant de chevaux ‒ l’écart exacte entre ces deux vers en latin dont il a été question dans ce texte.    

                                        Et Danièle Robert en tout ça ?        

                                   „Vexilla regis prodeunt inferni
                                        verso di noi ; per`dinanzi mira“,
                                        disse ’l maestro mio, „ se tu ’l discerni“.

Et Danièle Robert, vraiment, dans tout ça ? Qu’a-t-elle fait de Vexilla regis… (on verra ce qu’elle fera avec Vergine Madre…, car on attend sa traduction du Paradis) ? Elle a gardé le vers latin sans le traduire en français ‒ c’est déjà bien, mais ce qui ne sera pas le cas avec les vers semblables au Purgatoire, on verra ‒ elle a bien traduit le début du deuxième vers du chant XXXIV, verso di noi ‒ l’image qui se traduit d’elle même en français, vers nous  ‒ mais après ces solutions « données », elle n’a pas su conclure la terzine de Dante par une rime correspondante. C’est vrai, inferni/discerni est une rime bilingue et magnifiquement trouvée ; ce couple des rimes n’est pas une paire unique dans le Rimarium de Dante, comme celle aleppe/seppe, déformée par Robert, mais pour être correctement traduit en français, l’inferni-discerni pose un problème. Pour Robert insoluble car elle traduit le  d i s c e r n i  vocabulairement, par  d i s c e r n e s, reste dans le plat, sans se rendre compte d’avoir trahi sa première promesse au lecteur, qu’elle sera la première à traduire le Poème de Dante en terza-rima, en respectant « la structure voulue par l’auteur », c’est-à-dire le rythme et la terza rima ! Voici :

                                      „Vexilla regis prodeunt inferni
                                    vers nous ; or donc, regarde bien devant“,
                                    me dit mon maître, „si tu les discernes.“

Elle devait à tout prix chercher et inventer une solution pour clore rimiquement cette terzine. Car inferni-discernes est une solution nulle. À côté de cette énorme faiblesse de sa version de ce vers, on trouve deux autres dans les deux vers suivants, qui montrent qu’en effet Danièle Robert s’occupe du rythme de Dante au premier degré que j’ai déjà nommé « feutrage » pour avoir ces fameux  o n z e syllabes dans chaque vers ! C’est pourquoi elle traduit (si l’on peut appeler cela « traduire ») : or donc pour però de Dante, et « me dit mon maître », pour « disse ’l maestro mio », comme si Virgile avait le choix de s’adresser à Dante ou à quelqu’un d’autre là virtuellement présent ! Pire, tout ce vers traduit par elle n’est qu’une très fidèle copie, un mot-à-mot têtu, de la solution proposée par Jacqueline Risset (mais qui ne rime pas et ne compte pas le nombre des pieds, or donc elle est excusée d’avance).

            Comme toujours, je donne ma solution de cette même terzine, faite 15 ans et plus avant celle de Danièle Robert, et le lecteur curieux pourra faire la comparaison, et voir ce qui est dans la mienne bon, ou non ; plutôt dans les miennes, car j’ai traduit et publié ce verset deux fois assez différemment, en 1995 et 2017, avec une version transitoire datant de 1998.

 Version « cobaye » en trois volumes de 1995:

                        « Vexila regis prodeunt inferni
                             vers nous ; mais regarde devant »,
                             dit mon maître, « et les discerne-y. »

Comme on peut voir, je suis aussi « passé » par  d i s c e r n i, mais en réalisant une rime totale avec  i n f e r n i / d i s c e r n e-y. Un ami français, poète, a attiré mon attention à ce « discerne-y », car l’« y » le gênait. J’ai pris sa remarque au sérieux, et proposé une nouvelle solution en 1998, pour toute La Comédie en un seul volume :

                        « Vexila regis prodeunt inferni
                             vers nous ; donc regarde devant »,
                             dit mon duc, « les voir, t’est permis. »  

                        Version que j’appelle « définitive » de 2017 :

                      « Vexila regis prodeunt inferni
                             vers nous ; donc regarde devant »,
                             dit le duc, « car les voir t’est permis. »                                                

(à suivre)

25. Un psaume un peu « jazzy ».

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

EN ATTENDANT LE PARADIS
DANS LA TRADUCTION DE DANIÈLE ROBERT,

UN PSAUME UN PEU JAZZY 

Les bilinguismes de Dante

                                       

Ils ne sont pas si nombreux dans La Comédie, parfois ils s’y trouvent en forme de miettes ‒ quia, quare, miserere, coram patre… ‒ parfois remplissent tout un vers, parfois une tercine entière, ou même huit vers, comme à la fin du chant XXVI du Purgatoire… Ils ne sont pas nombreux, mais sont « incrustés » dans le Poème, dès le  m i s e r e r e  du premier chant jusqu’au  v e l l e, deux vers seulement avant la fin de La Comédie. Ainsi le lecteur attentif peut avoir l’impression de leur présence plus grande qu’elle ne l’est en effet. C’est le résultat de cette technique contrapunctique et polyphonique de Dante, instrumentale et vocale, divine et comique, mais le terme  t e c h n i q u e (poétique) est un mot qui ne se rencontre pas dans les études les plus « approfondies » sur Dante, comme si les auteurs avaient une gêne à parler d’elle (je pense à la technique poétique de Dante) pour ne pas obscurcir l’image déjà obscure de ce poète en parlant des choses telles versification*, par exemple (comme si cela pourrait nuire à leur renommée).       

 

* Tellement diverse qu’elle représente une merveille en soi, une « science » pas comme les autres sciences. Donnez-moi le nom d’un « spécialiste » de Dante qui a parlé de cette dimension terzarimaire du Poème ! Oui, Jacqueline Risset avait parlé ‒ après avoir proclamé « toutes les traductions existantes… Dante anti-Dante, ou assez généralement a-dantesques » ‒ pour conclure « puisque la tierce rime produit des effets de symétrie répétitive et immobilisante » ! J’ai l’impression qu’elle parlait et visait Dante lui-même en lui reprochant d’avoir inventé et pratiqué une technique « aux effets de symétrie répétitive et immobilisante » ! Car au moment où elle écrivait ces réflexions en France n’existait aucune traduction de La Comédie en tierce rime. Ou un autre, Carlo Ossola qui dans son Introduction à la Divine Comédie n’a jamais écrit le mot « technique » ; mais il est prêt à vous raconter, comme sur la page 67, la triple construction de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis, tout en passant de l’Enfer au Purgatoire, sans remarquer que Dante en ce moment fait bouger les frontières de la Versification, puisque le dernier vers du premier cantique et le premier vers du second créent une rime irrégulière ‒ voulue fortement par le Poète ‒ enfin un distique au beau milieu des tercines :

                        E quindi uscimmo a riveder le stelle
                        Per correr miglior acque alza le vele.

Quelqu’un qui nous parle de la triple construction des trois cantiques ‒ discours universitaire utile, mais…  ‒ devrait être sensible au fait que ces deux vers ‒ qui riment irrégulièrement ‒ sont en parfaite union : le premier compte 30, le second 31 caractères ! Vous pensez que c’est un hasard ? Pour comprendre combien cette progression 30-31 est calculée (pas aux doigts mais en cerveau, mentalement) , il suffit d’imaginer le contraire, 31-30. Dans la numérologie de Dante cela est impossible*.

* J’ai parlé de ce procédé de Dante dans le texte précédent, en comparant deux adjectifs « progressifs », sciocca-confusa, du chant XXXI de l’Enfer, vers 70 et 74, où Danièle Robert avait, une fois de plus, « brillé » avec sa cervelle de mouche ! On verra un peu plus bas une pareille « progression » que font un mot latin et deux mini-mots toscans.

Danièle Robert en face des bilinguismes de Dante 

Mais tout le problème de cette « technique » se pose autrement à celle ou celui qui a l’idée de traduire La Comédie en respectant la terzarima ! Vraiment, que faire avec les diversi lingue ‒ comme Dante les appelle au début du vers 25 du chant III de l’Enfer ‒ qu’on rencontre le long du Texte, le latin, le provençal, les dialectes, et surtout avec les langues inventées par Dante ?   

      J’insiste depuis toujours sur le fait que les trois premiers mots prononcés dans La Comédie, font un petit-énorme « accord bilingue », tout-à-fait dans le style pédagogique de Dante, qui ne veut pas « effrayer » son élève lecteur ! Il s’agit du vers du premier chant de l’Enfer :

« Miserere di me », gridai a lui…

ainsi « catastrophant » traduit par Danièle Robert

l’apostrophant je lui criai : « Pitié… »

Dans la solution de ce vers on voit toutes futures maladies traductoires de Danièle Robert. « l’apostrophant » pour « gridai », il faut du courage* de le dire, on n’a pas le droit de faire n’importe quoi en feutrant le vers de syllabes absurdes pour à tout prix en avoir onze !

* Je pense ici à l’article louangeur de Michele Tortoricci qui a eu des tripes de l’intituler La beauté demande du courage, ou quelque chose comme ça, dans lequel il a louangé l’Enfer défait par D. Robert !

Mais, continuons d’observer. Ce qui est chez Dante au début du vers, mot-clé  m i s e r e r e, c’est chez elle à la fin, non en latin mais en français, et ainsi ce petit mais merveilleux nœud bilingue, qui annonce tant de choses, est détruit. Il est évident que Robert, en traduisant ce « miserere di me » (d’abord latin, puis toscan) ne savait que, plus loin, dans le Purgatoire et le Paradis, Dante reprend, mais sans se répéter, ce  m i s e r e r e. La  façon dont Dante traite ce terme composé de quatre notes, mi-se-re-re, donc non seulement théologique, mais aussi musical, peut servir comme titre pour une Introduction à la technique poétique de Dante. D’abord au début (Enfer, I, 65) puis au milieu (Purgatoire, V, 25) et enfin à la fin (Paradis, XXXII, 12),

Et cela fait aussi un joli dessin :

                        « Miserere di me », gridai a lui
                        cantando miserere verso a verso
                        del fallo disse Miserere mei.

Il est à remarquer qu’après la version bilingue, miserere di me, Dante dans la troisième variation cite correctement le psaume L comme s’il le recommandait à tous les futurs polyphonistes dont il est grand précurseur.

            Dans la traduction de La divine Comédie de Danièle Robert cette image est détruite dès le début. Je ne sais pas comment elle va se « débrouiller » avec Miserere mei, dans le Paradis ‒ elle trouve toujours une rime qui ne l’est pas  ‒mais si son éditeur était prêt à faire une édition en un seul volume, je lui recommande de corriger ce mauvais début.

                        Pape Satan pape Satan aleppe

Ce vers par lequel commence le chant VII de l’Enfer est un des plus commentés. Mais ici il ne s’agit point d’expliquer le vers, mais de le traduire. Cela me pousse à dire une pensée hérétique : le traducteur ne doit pas toujours comprendre ce qu’il traduit. Je connais tous les commentaires de ce vers prononcé dans une langue inventée par Dante dans laquelle chaque mot ressemble à quelque chose de connu, mais le sens définitif et valable pour tous, échappe ! Mais, Danièle Robert a si bien compris ce vers qu’elle a même décidé de le changer. Le très beau mot  a l e p p e, d’autant plus beau car il est obscurement (par le sens inattrappable) lumineux (par le son), elle l’a remplacé par une exclamation qui n’aurait aucun sens même si elle n’était pas employée par le Dante même plus de dix fois avant le chant VII ! Voici le vers le plus faussement traduit dans l’histoire de la traduction :

                             Pape Satan pape Satan ahi.

Ahi ! qu’elle (Danièle R.) accompagne par une note pseudo-scientifique dans laquelle elle vous tiendra un cours vainéneux (sic !) et vous parlera des origines greco-latines, grotesque, pour dire après tout que le mot Satan « n’apparaît nulle part ailleurs dans La Commedia*».

* Je trouve vraiment extraordinaire que tous les dantéologues (je pense spécialement aux auteurs italiens et français) se rappellent de temps en temps du vrai titre de l’œuvre de Dante, comme ici Danièle Robert, ou Carlo Ossola qui farouchement défend le titre avec l’adjectif parasite  (voir son intervention dans l’Instituto italiano il y a quelques années).

Elle a oublié qu’a l e p p e aussi n’apparaît nulle part dans La Comédie, mais elle l’a irresponsablement évincé de sa traduction et remplacé par un  a h i  qui apparaît au moins cinquante fois, puisque Dante l’emploie après le chant VII aussi ! Cet  a h i  appartient dans La Comédie au groupe de petits mots que j’appelle depuis toujours les « mots d’appuis » qui ont leur sens et devoir, et que Dante emploie régulièrement en début de vers, jamais à la rime, ou au milieu du vers, ahi ! Remplacer  a l e p p e  par  a h i  confine à l’extrême ignorance de la poétique de Dante.

J’ai beaucoup réfléchi à cet  a h i, et cherché les raisons de son apparition là où il n’a rien à chercher ! Peut-être Danièle Robert était effrayée par la rime aleppe/seppe, qui n’est pas des plus faciles, c’est vrai. Mais elle a tant de fois montré sa capacité à trouver les rimes qui ne le sont pas ‒ il y en a presque plus de 40 % dans la traduction de deux cantiques, mais je ne crois pas que son Paradis va baisser le pourcentage ‒ et c’est exactement le cas avec  a h i, qui chez elle rime avec  c o m p r i s : ahi/compris, c’est-à-dire rien du tout ; elle pouvait trouver une aussi faible solution en gardant l’a l e p p e  à sa place, par exemple j’en donne une dans son style, non le mien :

                        Pape Satan pape Satan aleppe (1)
                        Et le noble sage, qui déjà tout savait (3).      

Remarque : en remplaçant l’a l e p p e (prononcer : alépé) par l’a h i, Danièle Robert a ôté une syllabe au vers de Dante, chose qui ne pouvait pas rester sans terribles conséquences !

                        Raphèl mai amèche zabi  almi

C’est un autre vers dans une autre langue inventée par Dante, encore plus incompréhensible que Pape Satan… aleppe, que même Danièle Robert n’en donne aucune pseudo-explication, ne remplace rien cette fois, mais nous prépare une assez extraordinaire surprise, vous verrez. Voici ces deux strophes d’abord en original, pour faire comprendre ce que j’appelle « le langage des rimes » chez Dante :

                        tre Frison s’averien dato mal vanto ;
                        però ch’i’ ne vedea trenta gran palmi
                        dal loco in giù dov’ omo affibbia ’l manto

                         « Raphèl mai amèche zabi  almi »
                        cominciò a gridar la fiera bocca,
                        cui non si conventa più dolci salmi.

Les deux rimes,  a l m i  et  s a l m i, forment avec celle de la tercine précédente, p a l m i, une des plus belles réussites rimiques dans La Comédie. Comment alors traduire ces deux rimes,  p a l m i  et  s a l m i, qui entourent celle qui est encore plus rare, car elle est inventée par le Poète ! Pour le faire le traducteur doit commencer par ce mot inventé, a l m i, en le fixant à la fin du premier vers !. Est-ce possible en français ? En tout cas pas pour Danièle Robert qui cette fois n’invente aucun  a h i  (lequel, dans son dictionnaire des rimes pour les enfants, irait assez bien avec  a l m i !) et nous fait cette surprise… elle ne rime pas ! Elle qui nous a promis une traduction qui respecterait « la structure voulue par l’auteur », au moment où elle avait la chance véritable de montrer qu’elle est capable de respecter cette « structure », elle renonce à tout :

    Trois Frisons auraient été impuissants ;
car de la base à l’agrafe du manteau
je n’en voyais que trente grands empans.

                                 « Raphèl mai amèche zabi  almi »,
                              commença à crier la féroce bouche
                              à qui ne convenait psaume plus beau.           

Personnellement je pense que cette solution est meilleure qu’une avec des rimes qui ne le sont pas ! À condition qu’elle ne se vante, partout où on lui pose des questions sur sa traduction, d’être la première qui l’a réalisée en respectant la « structure voulue par l’auteur », réduite chez elle au rythme et à la rimique. Si vous vous demandez pourquoi elle traduit più dolci salmi par psaume plus beau (tandis que chez Dante il s’agit du pluriel, important) ‒ elle confond gravement ces deux adjectifs, on sait ce que chez Dante signifie  d o l c e ‒ c’est qu’elle pense qu’elle s’est rachetée puisque ce « beau » rime avec le « manteau » de la strophe précédente ! Cela ressemble plutôt à une cacophonie qu’à une traduction sérieuse, surtout annoncée et fêtée comme exceptionnelle, même révolutionnaire (Pascal Paradou) ! Il est vrai que Robert a annoncé, dans sa préface pour l’Enfer, une traduction un peu  j a z z y ; sans penser aucun mal je lui attire attention sur le fait que l’adjectif  j a z z y  conviendrait mieux à la fin du vers que le fade « beau » ! Un psaume plus jazzy*, pas mal mis.

* C’est vrai, hier soir à la Radio Classique le bon animateur Jean-Michel Dhuez, après avoir annoncé une œuvre symphonique, n’a pas résisté de faire la comparaison avec le rock ’n roll ! Pourquoi mélanger ces genres musicaux ? Pour s’excuser à ceux qui n’aiment pas la musique classique, et qui par hasard se « trouvent » sur ces ondes, ou pour apprivoiser ceux qui sont potentiels amateurs ? C’est inutile et me semble plutôt être une éducation musicale bon marché. Quant à la traduction  j a z z y  de La Comédie, Danièle Robert ferait bien de s’expliquer et de donner des exemples ‒ tel vers à la Parker, tel vers à la Duke, telle terzine à la Ella Fitzgerald, etc., je ne sais pas, c’est elle qui sait… peut-être ‒ sinon c’est une grande rigolade de sa part.       

24. « Cervelle de mouche ».

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

EN ATTENDANT LE PARADIS
DANS LA TRADUCTION DE DANIÈLE ROBERT,

CERVELLE DE MOUCHE !

 

Quand j’ai commencé à lire et commenter la traduction de l’Enfer et du Purgatoire de Danièle Robert, je me disais que peut-être j’allais m’habituer à son „système“ ou „méthode“ (ou methodie, mieux : mélodie), et que j’allais adoucir mes critiques. Mais rien de tout ça! Je dirais même qu’aujourd’hui, deux ans après, que je m’étonne de n’avoir pas remarqué toutes sortes de ses nonsens et contresens ‒ poétiques, s’entend ‒ dont est peuplée chaque page de sa traduction que son éditeur Actes Sud annonçait avec un tel éclat et que ses amis et les journalistes vantaient jusqu’à „On va encore dévorer l’Enfer“, tandis que pour Pascal Paradou sa traduction est „une révolution“! Elle le serait si avant la sienne n’existaient deux versions de la traduction intégrale de La Comédie, les miennes, celle en trois volumes de 1997, et celle en un seul volume de 1998, qui a eu l’honneur de recevoir l’approbation du Centre National du Livre ! Malheureusement pour Danièle Robert, où que je pose mes yeux sur sa traduction je ne trouve que „toutes sortes de nonsens et contresens“. En terminant le dernier texte j’ai cité quelques vers du chant XXXII de l’Enfer très méchament traduits par Robert, et avant de le clore, le texte, j’ai remarqué ce spéciment, si l’on peut dire ainsi, d’une traduction spécialement moche ! Il s’agit de la Mouche, créature de Dieu! Voici deux vers de Dante de ce chant XXXII qui ne riment pas entre eux, mais sont liés par une répétition unique dans toute La Comédie, impossible de ne pas être vue vers 70 et 74 êtant proches voisins:

                                    E’ l duca mio ver’ lui: „Anima sciocca, (70)
                                    che ‘l tien legato, o anima confusa (74).

Mais, pour Danièle est tout-à-fait possible de ne pas voir ce qui saute aux yeux, ce refrain réalisé par le mot „anima“ et deux adjectifs progressifs, sciocca et confusa. J’appelle cela „une constante“, ou une contrainte qu’il faut satisfaire dans la traduction par tout traducteur et en n’importe quelle langue. En même temps nous sommes profondément dans ce qu’elle et son éditeur appellent „la structure voulue par l’auteur“. Mais la mauvaise versificatrice Robert a de graves problèmes avec les rimes auxquelles l’obligent ces deux adjectifs progressifs, sciocca et confusa. Et on a ça:

                                   Et mon guide lui dit : „Cervelle de mouche…, (70)
                                   qui le tient attaché, âme confuse, (74)

Et „la structure voulue par l’auteur“ est cassée, partie en mille morceaux ! L’âme, dans le premier vers, est devenue „cervelle“ et pas n’importe quelle cervelle, mais celle de la mouche ! Bien sûr, consciente de cette imputation d’une image non existante dans l’original, Robert donne une note, et au lieu de dire simplement : „J’ai traduit anima sciocca comme j’ai traduit, car il m’a fallu une rime en „ouche“, elle joue, comme avec contrapassus de la fin du chant XXVIII, une pseudo-spécialiste, et nous fait plus que sourire avec son explication: „L’appellation anima sciocca souligne une complète déficience de l’intellect de la part du responsable de la confusion des langues…*“

* Elle est tellement amoureuse de sa „cervelle“ pour l’a n i m a, en oubliant qu’elle a déjà employé cette  c e r v e l l e, dans le chant VII, 73, de l’Enfer, où Dante dit par la bouche de Virgile :

                                        … : „Oh creature sciocche“           

            ce qu’elle traduit incroyablement, car les  c r e a t u r e  de Dante sont devenues c e r v e l l e s, mais les  s c i o c c h e  ne sont plus  „de mouche“ mais :

                                   … : „Oh! cervelles brouillonnes!“           

Après quoi il ne nous reste que de conclure ‒ si vous me suivez attentivement ‒ que pour Danièle Robert  c r e a t u r a  et  a n i m a  sont les synonymes, c’est-à-dire  c e r v e l l e s! Qu’en dirait son Thomas d’Aquin? Pour énième fois, avec ses „cervelles de mouche“ et „cervelles brouillonnes“ ‒ image inimaginable dans l’imaginerie française avant elle! ‒ elle se montre incohérente ‒ je suis tenté de dire : Ô Incohérence, ton nom est…“ ‒ elle qui me disait dans sa Préface pour l’Enfer, page 17 d’en haut en bas, incohérent là où j’étais plus cohérent que personne !           

Oui, mais pourquoi introduire dans cette histoire pauvre amie Mouche ‒ je pense à une fable de mon cher La Fontaine ‒ et remplacer  a n i m a  par  c e r v e l l e? D’autant plus car cette expression „cervelle de mouche“ conviendrait plus à l’autre vers dans lequel l’adjectif  c o n f u s a  irait mieux avec ce „responsable de la confusion des langues“? Non, elle traduit  c o n f u s a  par  c o n f u s e, car elle prend constamment „les rimes données“ par Dante. Si elle voulait être cohérente elle aurait du traduire l’anima confusa aussi par une expression par elle inventée, par exemple : c e r v e l l e  de  l i b e l l u l e, ou quelque chose comme ça,  mais la triple rime lui manquerait gravement ! Enfin, non point par pédantisme, je lui fais remarquer qu’elle a, dans sa traduction du second vers, négligé un o de Dante, o anima confuse ! Mais elle était déjà trop heureuse d’avoir résolu la question de la Mouche, pour faire attention de cette petite syllabe*!

* Je ne sais pas si Danièle Robert se souvient de ce qu’elle a dit, comment elle s’est moqué à propos d’un Ô que j’ai ajouté à la fin du chant XXVIII pour obtenir une rime avec „cerveau-s’observe, ô“! Le choix que j’ai accompagné d’une longue note titrée Encore d’un Ô, où j’ai expliqué en détail mes trois raisons; elle avait raison de les refuser, mais dans le cas du vers 74 dont il s’agit ici, elle n’avait pas le droit de ne pas respecter ces ô là où ils ce trouvent dans le texte de Dante, par exemple celui au début de ce vers du chant XII, 49, de l’Enfer :

                        Oh cieca cupidigia e ira folle,

un vers on ne peut plus clair et simple, que Robert transforme en une sorte de cauchemard des mots, pêle-mêle, vrai galimatias, comme si elle les sortait du chapeau d’un faux magicien, et non du texte de Dante, en oubliant, bien sûr, cet initial Ô , nécessaire ‒ faut-il le dire ‒ pour l’effet non seulement rythmique mais aussi oratoire :

                        Convoitise et furie, aveuglement fou…

Qu’il me soit pardonné, mais ici je ne peux dire que : quelle mouche l’avait piquée pour enlever l’adjectif  c i e c a  ‒ un des plus dantesques ‒ à la  c u p i d i g i a  pour le transformer en  a v e u g l e m e n t, et pourquoi elle dit „aveuglement fou“, si dans le vers de Dante c’est l’ i r a  qui est  f o l l e? Totale destruction d’un vers… Vraiment, on comprend un peu Jacqueline Risset et André Pézard qui s’opposaient ouvertement (Risset) et violemment (Pézard) aux traductions rimées qui, tous les deux, ont traduit exemplairement ce passage:

                        O cupidité aveugle, et colère folle (Risset);
                        Oh convoitise aveugle et ire folle (Pézard).                   

La rime avec la  m o u c h e  lui a inspiré une des plus extraordinaires confusions en traduisant deux expressions absolument simples, que presque tous les traducteurs en français, et Jacqueline Risset et André Pézard, ont traduit sans faute : stupide (Risset, qui est sa référence à elle, ce que je n’ai jamais compris pourquoi) ou assotée (Pézard) pour  sciocca, et tous les deux confuse pour confusa, sans aucune note inutile ! Donc Robert avait le choix au lieu de se lancer dans l’obscure invention pour sortir d’une impasse rimique! Pour éviter de ressembler à personne, et ne voulant pas à tout prix reprendre les rimes de Dante, j’ai traduit ces deux vers ainsi, déjà dans ma première version „cobaye“:

                                   Et mon duc à lui : „Âme tant bête… (70)
                                   qui le tient bien lié, ô âme confuse, (74)

Après tout, on se rend compte, une fois encore, que Danièle Robert n’est pas capable de „penser“ toute La Comédie en un moment. Si elle l’était, elle se souviendrait que dans ce même chant XXVIII de l’Enfer Dante rencontre ce terrible personnage, aussi coupable pour beaucoup de choses, comme biblique Nemrod, qui s’appelle  M o s c a, donc M o u c h e, comme certains traducteurs le traduisent, tels Marc Salom ou magnifique Pézard ! Si Danièle Robert ne se souvient pas, je lui dis que c’est ce Mosca grâce à qui j’ai inventé une des plus belles rimes de la langue française :

                                         Mosca n’ / toscan, 

dont elle s’est moquée dans sa préface, mais qu’Aragon eut saluée en 1940, si elle existait déjà*.

* Ce n’était pas possible, mais le lien existe pourtant, vu que je suis né juste un an après celle où Aragon a écrit son texte La rime en 1940 !

Mais Danièle Robert a créé la vraie confusion n’aimerodique ‒ à la manière de Nemrod ‒ avec sa cervelle et sa mouche

(à suivre)

23. Je me présente (IV).

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

EN ATTENDANT LE PARADIS
DANS LA TRADUCTION DE DANIÈLE ROBERT,

JE ME PRÉSENTE, IV

À la fin du texte précédent j’ai cité ma traduction des derniers vers du chant XXVIII de l’Enfer, pour l’opposer à la traduction gauchie de cette même séquence de Danièle Robert. En faisant cette comparaison, j’ai compris que je suis le seul traducteur de Dante en français qui a non seulement publié plusieurs (fois!) éditions de La Comédie, mais qui à chaque fois ‒ toujours respectant la terza-rima et le rythme oscillant entre 9 et 11 syllabes ‒ a varié certaines parties de sa traduction. Je donnerais alors quelques exemples qui ‒ si elle lit ce texte ‒ feront „tremar le vene e le polsi“ à Danièle Robert!

Pour que le lecteur éventuel puisse me suivre dans mon auto-analyse, il faut qu’il sache que j’ai publié :

I. La première version de La Comédie en trois volumes, entre 1996-7, celle que j’ai appelée volontiers dès le début „cobaye“, puisque j’ai voulu „traverser“ tout le Texte de Dante, sans me retourner, pour avoir une idée la plus totale possible sur cette Oeuvre Fantastique, car mon premier geste était ‒ dès que j’ai trouvé ma solution pour le premier vers ‒ d’enlever l’adjectif parasite d i v i n a* ;

* Si j’appelle cette version  c o b a y e, ce n’est pas que je sous-estimais mon effort, ce terme exprimait plutôt, je le vois maintenant, mon incertitude devant la tâche qui m’attendait, quoique déjà le Premier chant m’avait coûté d’un tel épuisement entre les 8 et 29 décembre 1992, que je craignais mourir avant d’en sortir ! Je savais déjà que certains traducteurs sont morts avant d’avoir terminé leurs travail, par exemple l’Anglaise Doroty Sayers et le Croate Mihovil Kombol, tout les deux au même endroit, douze chants avant la fin ! Mais mourir dans le premier chant ‒ qui, en effet, est une Comédie en soi ‒ me semblait trop injuste, et j’ai survécu ! Et je continuais avec toute la concentration possible, accompagnant toutes mes impressions par les notes sur les pages de gauche !   

 

II. La seconde version, en un seul volume, publiée en 1998, avec le titre unique LA COMÉDIE et ce sous-titre taquinant Nouvelle traduction nouvelle (nouvelle non par rapport aux autres traductions précédentes, mais par rapport à la mienne première!). J’ai eu toutes les difficultés ‒ car j’ai voulu être à tout prix mon propre éditeur ‒ d’obtenir l’opinion du Centre National du Livre, laquelle après tout a été très positive. Si ma première édition c o b a y e a été un vrai samizdat, et presque clandestin, ce n’était plus le cas avec cette deuxième.

III. La troisième version date de 2017, publiée chez l’éditeur „Ésopie“, l’anagramme de Poésie, de Mont de Marsan, et l’écart de dix-neuf ans s’explique par le fait qu’entre-temps, de 2000 et 2007,  j’avais entrepris et réalisé la traduction de La Comédie en serbe, ma langue natale ! Dans cette période j’ai enfin trouvé le premier acrostiche de La Comédie, celui par lequel commence l’Enfer ‒

N
A
T
Io,

inconnu par tous les dantéologues les plus et moins éminents, Carlo Ossola en tête; car, vraiment, comment en 2013 encore écrire une Introduction à la Divine Comédie sans savoir qu’au début de  t o u t  se trouve un acrostiche sensationnel… qui est la meilleure introduction à Dante! ‒  ainsi que la solution définitive pour la Grande Dissonance  d i f f e r e n t e-m e n t e dans le chant XXII du Paradis, dont je suis spécialement fier, et dont aucun dantéologue italien, Carlo Ossola en queue, n’a jamais rien dit d’essentiel, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas compris !

            Mais mes trois éditions n’étaient pas de passives réimpressions d’une traduction figée, mais variations de l’une à l’autre ; voici les trois débuts :

                                               Traduction cobaye

                                   À mi-chemin de notre existence
                                        je me trouvai dans une forêt noire
                                        car la droite voie perdit le sens.
                                   Ah qu’il est dur d’y même croire,
                                        forêt forte et âpre et sauvage
                                        qui fait encore frémir ma mémoire!
                                   Tant amère que mort et peu davantage ;
                                        comme j’y reçus maint bon conseil,
                                        aussi je dirai tout vu au passage.

L’essentiel dans cette version est le mot  e x i s t e n c e ‒ que j’ai opposé à toutes les traductions précédentes où la  v i t a  est toujours traduite par  v i e ‒ qui m’est tombé non du ciel, mais de la situation existentielle dans laquelle je me trouvais en été 1992

et après, à cause des événements tragiques dans mon pays. Ce mot m’a permis de réaliser la première rime simple et complexe de La Comédie: vita / smarrita; mais aussi: nostra vita / smarrita c’est-à-dire: existence / sens, et aussi : existence / perdit le sens! La découverte de la rime complexe dans le texte de Dante, et la trouvaille d’une possible solution en français, a donné une telle intonation presque symphonique, que je l’ai gardée dans la seconde :

                                         Nouvelle traduction nouvelle 

                                   À mi-chemin de notre existence
                                        je me trouvai dans l’obscure forêt
                                        car la droite voie perdit le sens.
                                   Ah qu’il en est dur une idée former,
                                        une forêt forte qui mord et se tord
                                        dont ma pensée frémira désormais !
                                   Tant amère que peu plus est la mort ;
                                        mais comme j’y reçus un bon conseil,
                                        d’autres choses vues je dirai alors.

Dans cette version j’ai compris que le traducteur, surtout en français, ne doit pas obligatoirement reprendre les rimes „données“ par Dante (sauf exceptionnellement) : oscura / obscure; dura / dure; cura / cure, d’autant plus car ces rimes sont relativement nombreuses. Reprendre diminue l’invention. C’est pourquoi j’ai choisi le mot  f o r ê t  pour la seconde rime du chant I, convaincu encore que Dante aurait choisi  s e l v a   si ce mot pût lui donner deux rimes convenables, ce que ni  b e l v a  ni  r i n s e l v a  ne le sont (pour les utiliser Dante attendra la fin du chant XXXI du Purgatoire)! Je pense que Dante exprimait un certain regret de ne pouvoir rimer la  s e l v a, et il le suggère par le choix de l’adjectif  f o r t e  à la place de la rime facile au vers 5, moins facile si nous devinons que ce  f o r t e  est une parfaite anagramme du mot français f o r ê t! Forte-forêt, quelle anagramme bilingue extraordinaire et je sais que Dante en était conscient !

            Entre la seconde et la troisième version française, en traduisant La Comédie en serbe, j’ai découvert l’acrostiche par lequel commence toute La Comédie : NATIo. Pendant plusieurs années je pensais qu’il fut impossible de réaliser en français cet effet infiniment important car il me semblait impossible de détruire ma première solution pour le premier vers À mi-chemin de notre existence*…, dans laquelle pourtant je sentais une faiblesse : j’ai toujours été gêné que ma traduction commençait par une voyelle, et non par une consonne, comme chez Dante, N, la lettre centrale de son prénom ! D’autant plus que ce problème ne se posait pour la traduction en serbe dans laquelle ce N initial se traduit de lui-même: Nel mezzo del cammin…, Na pola puta…! En plus, l’acrostiche en serbe est magnifique : NACIja, ja signifiant io!  La seule imperfection c’est qu’en serbe il est composé de six, et chez Dante de cinq lettres, chiffre basique dans la formule ésotérique de La Comédie, dont René Guénon ‒ un lecteur dangereusement superficiel du Poème ‒ n’a onc eu la moindre idée ! Combien je fus deçu par son Ésotérisme de Dante !   

* Cette solution À mi-chemin… (que Michele Tortorici a attribué, en ami, à Danièle Robert, comme une „nouveauté absolue“, honte à lui !) „tenait l’eau“, comme on dit chez moi, car elle contient une parfaite anagramme non voulue par moi ‒ comment pus-je la vouloir ! c’est Aliénore d’Aquitaine qui me l’a envoyée ‒ et qui, il me semble résume l’état de Dante au moment du début de la „folle aventure“ :

                          Ami, ce monde chien très excité

Pourtant, pour obtenir l’acrostiche en français, j’ai décidé de „renverser“ ma première solution, en obtenant cela :

                          N’étant qu’à mi chemin de notre existence.

C’était tellement différent de la première solution, que j’ai d’abord refusé celle-ci! Mais en la répétant, j’ai commencé à m’habituer à ce nouvel accord, Et quand enfin j’ai écrit le premier tercet de La Comédie, pour le  v o i r :

                        N’étant qu’à mi-chemin de notre existence,
                             je me trouvai dans une obscure forêt
                             car la droite voie perdit le sens. ‒

j’ai remarqué que le premier vers était trop long par rapport aux deux autres, non syllabiquement ‒ il a exactement onze syllabes ‒ mais visuellement, car j’ai traduit toute La Comédie en essayant d’imiter les longueurs graphiques des vers de Dante !

Cette contrainte inimaginable même par les Oulipiens, qui m’a fait souvent trouver meilleurs solutions! Compter les caractères dans un vers est plus intéressant que compter les syllabes ! Le nombre des caractères dans un vers décide aussi de son vrai rythme…

            „Gêné“ un peu par la longueur graphique du premier vers traduit par moi, l’idée m’est venue de remplacer  e x i s t e n c e  par  v i e, chose qui dix ou quinze ans auparavant me semblait impossible. J’ai quand même fait un essai avec „notre vie“ et au même moment, presque automatiquement, j’ai résolu l’énigme de la première rime simple-complexe  nostra vita / smarrita; c’est-à-dire : notre vie / assombrie. Ces deux rimes, lues extraites du texte, un accord plus bref que le plus beau haïku japonais, disent tout sur la vision que Dante avait sur „le monde actuel“, comme disait Valéry:

                                   Nostra vita smarrita
                                   Notre existence perdit le sens
                                   Notre vie assombrie.

Ainsi commence la troisième édition française chez le bel éditeur „Ésopie“:

                                   N’étant qu’à mi-chemin de notre vie
                                        je me trouvai dans l’obscure forêt
                                        car la droite voie était assombrie.

Mais je reste nostalgique de l’existence! Et je n’exclus pas la possibilité qu’une édition suivante la reprenne !

            Pourtant ce n’est pas tout ! Car il existe une version plus ancienne même que celle que j’appelle „cobaye“! Quand j’ai commencé, le 8 décembre 1992, dans le 27, Rue des Vertus, vers 20 heures ‒ après une émission à la Télé dont les participants vantaient une nouvelle traduction de La divine Comédie ‒ de chercher la solution pour le premier vers et la première paire des rimes, vita-smarrita, dont je ne voyais pas encore la complexité ‒ décidé d’éviter à tout prix notre vie des traductions précédentes ‒ le mot  e x i s t e n c e, le mot grave mais aussi sonore et brillant, que je n’avais jamais écrit par ma main, m’est venu envoyé par Aliénore d’Aquitaine ou la Dame Blanche (qui sont peut-être une en deux personnes).

            À cette époque j’écrivais presque quotidiennement mes poèmes, en serbe et en français, en coupant les mots en syllabes pour obtenir de nouvelles rimes et rythmes.

Et comme je n’avais pas encore l’ambition de traduire toute La Comédie, mais juste de faire un essai, une expérimentation sans landemain, j’ai tout de suite „coupé“ ce mot miraculeusement venu en deux parties symétriques :

                                   À mi-chemin de notre exis-
                                        tence…,

et, sans encore savoir quelle sera la rime avec „exis-“, j’en fus absolument ravi par ce commencement ! Je me disais : „Voici, mon existence est coupée en deux périodes, avant et pendant la guerre, me voici confiné dans cette Rue des Vertus, donc je coupe avec raison et droit ce mot en deux parties symétriques!“ C’est avec cette impression et émotion que j’ai traduit intégralement, pendant vingt derniers jours du décembre 1992, le Premier chant de l’Enfer, après quoi, épuisé sans mesure, j’ai décidé de ne plus toucher à Dante ! Comme je considérais cette traduction libre et un peu „brute“‒ à cause de la coupure du mot existence ‒ je l’ai publiée dans mon sixième recueil de poèmes français, La rue des Amants d’hier ‒ avec le sos-titre Et autres adresses parisiennes, comme par hasard sur la page 15 ‒  avec le litre DANTE : L’ENFER, Premier chant, avec une explication en six lignes comment et où, à quelle adresse, j’ai fait cette

                                               Traduction brute

                                   À mi-chemin de mon exis-
                                        tence, j’entrai en forêt noire,
                                   où nulle voie ne s’esquisse…

                                        Ah!  il est dur d’y même croire,
                                   forêt féroce et âpre et forte
                                        qui fait peur à la mémoire !

                                   Amère presque comme chose morte;
                                        mais j’y ai reçu maint bon conseil
                                   et vu des choses d’autre sorte.

 

C’est vrai, j’ai raconté cette histoire de mes variations sur le début de La Comédie un peu à rebours ! Combien cet esprit de variation est présent dans toute ma traduction de La Comédie se confirme sur maintes pages paires et gauches de ma version „cobaye“ sur lesquelles je donnais des variations possibles de certaines séquences. Un lecteur réellement curieux ‒ non comme Danièle Robert qui n’a vu dans tout cela „qu’une langue bien problématique“, ce qui ne l’a pas empêché de me „piquer“ le début à mi-chemin, que son ami Tortorici avait proclamé comme „nouveauté absolue“ ‒ ce lecteur curieux pourrait en faire des comparaisons merveilleuses !

            Ma conclusion est suivante : j’ai mis plus d’ardeur et d’effort dans la solution du premier vers de La Comédie, que Danièle Robert dans les deux cantiques ensemble publiés jusquà aujourd’hui, et je ne crois pas que son Paradis y changera quelque chose.

Cette traduction montrera encore plus quelle débutante* elle est, point ailée..

            * Débutante en l’art de rimer ‒ jamais la versification française n’a eu une telle mauvaise versificateur (sic!), que dire d’innombrables rimes telles Arthur-plus-fut ? ‒ et aussi, aussi grave, dans l’art de transposer convenablement les lieux les plus vibrants de La Comédie, par exemple : M i s e r e r e  di me, qu’elle traduit platement par Pitié de moi,  a l e p p e, qu’elle traduit par ahi, s t e l l e  à la fin de l’Enfer, qu’elle traduit par : sortie, P e r  c o r r e r  du début du Purgatoire, qu’elle traduit par l’absurde Alors… etc. Elle est capable de toutes les mutations et mutilations du texte ; et de déstructurer les vers les plus simples, par exemple (XXVIII, 125, Enfer) :

ed eran due in uno e uno in due

qui chez elle devient :

 et c’était un en deux et deux en un ‒

(et chez moi :

et furent deux en un et un en deux,

car elle ne se rend pas compte que terminer le vers en français par „en un“ est vraiment ânain, tandis qu’ailleurs (XXXIV, 127, Enfer) :

che l’altra faccia fa de la Giudecca

elle fait une  i n v e r s i o n  contre toute logique de la langue poétique française, et au lieu de terminer le vers par la rime  G u i d e c c a ‒ impossible pour elle ‒ sur laquelle „repose“ toute cette séquence, nous rappelle que les phrases en allemand se terminent par les verbes :

que l’autre face de la Giudecca fait ‒

tandis que déjà dans ma traduction „cobaye“, qu’elle avait à côté d’elle lorsqu’elle traduisait ce vers, Robert pouvait lire la bonne solution :

qui forme l’autre face à Giudecca !

Tous ces vers renversés et inversés donnent une fausse impression que Dante est un poète qui se plaît à compliquer sans cesse son style, ce qui n’est pas vrai. Au contraire, c’est Danièle Robert qui se plaît à rendre le plus souvent ce style plus ou moins torturé.

Dante dit le plus simplement au monde:

come la pina di San Pietro a Roma ‒

le vers qui „coule“ comme la plus claire prose, que Robert „trouble“ tout simplement puisque pour elle il est plus facile de rimer „Saint Pierre“ que „Rome“, et voici le résultat inutile:

  comme la pigne, à Rome, de Saint-Pierre ‒

dans lequel elle se consolait par cette rime intérieure et irégulière : comme-Rome, mais en vain parce que cette rime n’existe pas chez Dante, tandis qu’il était tout-à-fait possible d’éviter cette inversion désagréable, comme je l’ai fait :

telle la pigne de Saint-Pierre à Rome ‒

d’autant plus que le vers magnifique qui suit :

e a sua proporzione eran l’altre ossa ‒

est devenu dans la traduction de Danièle Robert un de ces (vers) assez nombreux qui font son inventaire intime des plus grandes débâcles traductoires:

et le reste devait lui équivaloir ‒

traduction non seulement inexacte mais plutôt „racontée“ que réellement „imaginée“, encore moins „rimaginée“, comme l’est celle-ci, la mienne :

et à sa proportion était chaque os. ‒

que je propose, pour terminer ces comparaisons qui pourraient aller d’une page à l’autre le long de son Enfer et son Purgatoire, et que je donne ici pour qu’un lecteur curieux puisse faire ses opinions, et de lire Dante de plus près.

Certains vers de la traduction de Danièle Robert ont l’air comme si elle les a laissés inachevés à la merci de celui ou celle qui devaient taper leur dernière version !

(à suivre)

22. Je me présente (III),une poignée de mes poèmes « différents ».

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018).

EN ATTENDANT LE PARADIS
DANS LA TRADUCTION DE DANIÈLE ROBERT,
UNE POIGNÉE DE MES POÈMES « DIFFÉRENTS ».

 

Dans le texte précédent, Je me présente, II, j’ai déclaré que « j’étais le poète en français (en français, pas français) le plus différent dans la dernière décennie du dernier milénaire ». J’ai publié huit recueils de poésie entre 1992 et 1996, dont le nombre de vers dépasse légèrement le nombre de vers de l’Enfer et du Purgatoire, 11 000 ! Dans cet article je donnerai un petit choix de mes vers de mon cinquième recueil écrit directement en français, La Rue des Amants d’hier, lequel s’ouvre par ma traduction « brute » du premier chant de l’Enfer. Dans ces vers je parle de ma vie quotidienne, réduite à 12 mètres carrés, de la musique que j’y écoutais, des voyages ue j’ai faits, etc.

                                  

                                   PRÉLUDE DE TANNHÄUSER
                                        Dirigé par Otto Klemperer

                                               Doux vers tus
                                                    en rêve où ?
                                               Grand’ouvertu-
                                                    re : vers vous,

                                               Dame de vertu,
                                                    ou ailleurs ?
                                               Gamin vert, tu
                                                    es ce voyeur

                                               jamais sournois !
                                               Toi, tu cours noi
                                                    -r de tout Mal

                                                    bu, de l’un à l’
                                               autre tournoi
                                                    par ce bas val.

 

                                   DESCRIPTION DE MON STUDIO
                                               Le 17 Décembre 1992

                                               C’est un appartement
                                                    pas du tout moi-
                                               si, mais m’appartenant !
                                                    En ces trois mois

                                               moi, je vais là déployer
                                                    là tout mon art :
                                               un foyer demande un loyer !
                                                    Et de Mozart

                                               jusqu’à ma plus se
                                                    -crète fête ! Astuce
                                               bien fondée, ma Puce                                              

                                               musicienne : as-tu ce
                                                    même don d’élar-
                                               gir le Monde et l’Art ?

 

                                          ENTRE LA TABLE ET LE LIT

                                               Quant à mes repas
                                                    et secs et crus tant
                                               moi je les prépa-
                                                    re là en exécutant

                                               ma quotidienne gym
                                                    tout en bloc, ou
                                               fou je rime, ou j’im
                                                    -agine beaucoup

                                               tant que les vapeurs
                                               chantent ! Va, peur
                                                    par porte ! et je

                                               lie ma Mab au lit
                                                    qui, là, me protège
                                               et, seule, m’abolit.

 

 

                   DANS LE TRAIN

Entre Paris et Belfort-Héricourt où j’allais surveiller l’impression
de mon recueil Le lit défait

Te voilà dans
     ce train
sans sens et sans
     freins ;

rien, pour autant,
     qu’un
espace du Temps,
     qu’un clin

du temps à l’Espace,
     qu’un brin
fin qui se déplace

     sans fin
et lit se déplaçant
Vie vide et plat Sang.

 

 

                                                     DANS LE MÊME TRAIN

                                                 Entre Belfort-Héricourt et Paris

 

Terriblement tendu
     je voyageais à mes
frais, par un temps du
     -r, pas vrai, jamais

si tendu et par un
     temps dur, pas frais,
tel celui qui part in-
     quiet, mais parfait

par un temps dur et
     pas vrai, tel un qui,
usurpateur saturé

     par sa propre inqui
-étude, sans voir âge vrai,
sans sens, ‒ voyagerait.

 

                                                       DANS LE BAIN

                                               Quand je lave mes cheveux
                                                       je ne chante point
                                                  car tout ce que je veux
                                               est de sentir le shampooing

                                               se transformer doucement
                                                      en champs poin-
                                               caréens de la mousse men
                                                     tale, sans poids, n’

                                               être que terre minérale
                                               qui là se termine et râle
                                                     dans la baignoir’ :

                                                     jette ce peignoir
                                               entre Hermine et Rat, le
                                               sens s’en imprègne, noir.

 

                                             LEONOR FINI AU BAIN

                                               L’effort, ô clé en or,
                                                    savamment l’ouvre :
                                               toi, plus que Leonor

                                                    mais une Louve re
                                               -doutable au décor
                                                    dans ce mien Louvre

                                                où les sept nègres
                                                    enlèvent ta ceinture :
                                               filles, seins maigres,
                                                    en ont sainte cure…

                                               Ainsi tout s’intègre
                                                    sur cette peinture :
                                               l’arc de Saint Ingres
                                                    et large peine dure.

 

RÊVE D’HÉRODIADE

Une héroïne mallarméenne entre

Pierrot laforguien et Narcisse valéryen

 

Ce lit, où Héro-
      diade
rêve de son Pierrot
     qui a de

gros yeux sidéraux,
     et rit à de
-mi en faisant « dix zéros »
     de sa tirade,

une vieille romance
qui ainsi commence :
     « ÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔ ! »

Beau, étonnement !
     Ô, Eau aux haux o-
bstacles, c’est ton Amant !

 

LA CLÉ RENDUE

J’ai quitté la Rue des Vertus le 10 Mars 1993, en laissant ce sonnet, avec la clé,
à Madame Makward,ma logeuse, que je n’ai jamais vue ni connue.

 

Voici la clé
     de la Vertu :
poème bâclé
     et le vers tu !

Tu vas vers où,
     mon Héracle ?
Ferme le verrou
     du spectacle…

Pourquoi t’ext-
     asier ?
Le fond du casier


     cache le texte
d’une Lettre importante
dont timbre d’or te hante !

 

                                                     GANDE POÉTIQUE

Moins
     de mots
loin
     du faux !

Au coin
     si beau
un point
     chaud !

Mais Moi
     et mes maux ?   

Mémoi-

     re, même eau !

Aimons
     les monts…


TROIS LACANNERIES

I. Préparation du biberon

                                                                Là, quand
                                                                     très
                                                                las, qu’en
                                                                     vrai

                                                                lac an-
                                                                     cré,
                                                                laquant
                                                                     craie,

                                                                Lacan
                                                                     crée
                                                                la can

                                                               -ette
                                                               et te
                                                               tête !

 

II. Constipation

                                                           Lacan
                                                                nul
                                                           en cal-
                                                                cul,

                                                           calant
                                                                dur cul,
                                                           canal
                                                                du recul,

                                                           cas lent,
                                                           calen
                                                                -driers

                                                           feuillette :
                                                                riez,
                                                           fillettes !

 

III. Petite histoire de musique
(en deux hocquets)

                                                           Lacan
                                                                sciait l’
                                                           l’arc en
                                                               ciel :

                                                                vide
                                                           l’art can-
                                                                dide
                                                           d’Alkan…

                                                           An cla
                                                                -ssique !
                                                           Clan a-                                              

                                                                ssis à six q
                                                           -queues,
                                                                qu’eux !

 

 

R.Q. AU BORD DE LA SEINE

                                                                              Pour Éric Satie.

                                                           Rentrez, Marquise,
                                                           A votre logis que
                                                           Yeux des monqeys
                                                           Mordent, c’est logique !

                                                           Oeuvre même acquise
                                                           N’est qu’un aimant
                                                           Dont l’éclat m’attise
                                                           Quotidiennement* !

                                                           Use de cette scène
                                                           En ce temps où le
                                                           Nouveau fleuve coule


                                                           En évitant ces Ne,
                                                           A l’ombre si saine,
                                                           Un à un, en foule.

* Ce mot contient 15 lettres et il m’a aidé à mieux remarquer le  d i f f e r e n t e m e n t e  dans le chant XXII, 16, du Paradis.

21. Je me présente (II).

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

EN ATTENDANT LE PARADIS
DANS LA TRADUCTION DE DANIÈLE ROBERT,

JE ME PRÉSENTE, II

 

Au début de mon texte précédent j’ai dit que j’ai traduit le poème de Paul Verlaine Le ciel est par-desuus le toit pendant un cours du français, en 1958 : notre professeure l’a dicté à toute la classe et demandé de le traduire, sur place. Nous étions tous très bons en français ‒ sans doute grâce à la passion avec laquelle elle nous transmettait cette langue ‒ mais j’étais le seul qui l’ai fait en reproduisant les rimes et gardant le maximum du rythme, bien sûr maladroitement. Il est difficile, aujourd’hui, d’imaginer qu’une jeune professeure d’un lycée perdu aux confins de l’Europe croyait que grâce aux poèmes classiques français ses élèves pourraient sentir la beauté du français et même apprendre un peu de sa grammaire et ! Je n’ai jamais oublié sa leçon : on ne prononce pas de même façon Je vous salue et Je vous salis ! Quand, dans le courant de l’an 2006, me fut proposé de recevoir les Palmes académiques ‒ plutôt maigre récompense pour un laboureau (bourreau de travail) comme moi ! ‒ j’ai pourtant dit oui mais à condition que la même distinction soit donnée, posthumement, à notre professeure ! Et j’ai très clairement expliqué mes raisons pour cela. J’ai même dit que « Madame Mirjanić avait allumé l’ampoule de la francophonie dans une ville en profonde Bosnie la même année où ce mot a été inventé par le poète Aimé Césaire à l’autre bout du monde ! Malheureusement, je ne fus pas compris, même je pense que ma proposition-condition a été très mal vue ! Monsieur Mainville ne m’a plus jamais contacté… le silence auquel j’ai répondu par un texte publié dans un quotidien de Banja Luka, Le journal indépendant, sous le titre Les morts ne comptent pas ?

J’ai dit aussi dans le texte précédent qu’assez tôt j’ai commencé à écrire les vers en français, je me souviens que j’ai même traduit en français deux quatrains d’un poème de Pouchkine que je connaissais par cœur dans une bonne traduction du russe en serbe ! Ce poème, très connu, commençait ainsi : Ne chante pas, ma chérie… Mais en écrivant, parallèlement avec les miens, ces vers en français, je ne le faisais pas dans l’intention de devenir « un poète français », mais comme un exercice indispensable pour un traducteur de cette langue ; ce sentiment ou cette conviction ont fait de moi peut-être le poète « français » le plus « différent » de la dernière décennie du dernier millénaire).

En écrivant mes vers français, toujours plus sérieusement, je « souffrais » d’un sentiment assez profond, que je n’apprendrai jamais la langue française ! Parfois je pense au trouvère Connon de Béthune qui disait que les Parisiens se moquaient de la rudesse de son français du Nord ‒ surtout quand on me dit que je parle très bien le français ! Je n’ai jamais reçu ce compliment sans essayer de le diminuer !

Mais qu’est-ce que c’est donc « apprendre la langue française » ? Est-ce pouvoir parler en cette langue sans être reconnu comme « étranger », est-ce d’écrire une lettre officielle sans trahir mon origine (slave) ? Deux  choses, pour moi, impossibles. J’ai lentement compris, et accepté, que la poésie ‒ et pas n’importe laquelle, mais celle soumise aux rythmes extrêmement calculés et à une versification absolument indépendante de la versification française des dictionnaires des rimes* ‒ serait mon seul champ, réduit mais le mien, d’expression.     

* À l’époque où j’ai beaucoup traduit et écrit sur Paul Valéry, je rencontrais les textes sur ce poète dont les auteurs soulignaient l’importance d’un don que Jules, frère ainé de Paul, avait fait à celui-ci pour son dix-huitième anniversaire: Un dictionnaire des rimes! En tant qu’un valéryen naïf, convaincu et fidèle que j’étais en 1960 ‒ ce que je suis resté jusqu’à l’heure où j’écris ces lignes, en 2020 ‒ ce moment me semblait presque « mythique », mais beaucoup d’années après, vers 1992, j’ai eu l’idée que Jules, en donnant ce dictionnaire à Paul, aurait dû dire cette phrase:“Je te fais cadeau de ce dictionnaire des rimes en te conseillant de n’utiliser presque aucune qui se trouve dedans; invente les tiennes!“ C’est sur cette phrase non-prononcée par Jules que j’ai établi ma « petite philosophie de la versification française ».

Pour m’expliquer ‒ à moi et à tous ceux que cela pourrait intéresser ‒ ce paradoxe: écrire les vers « en français parmi les Français », sans connaître (j’exagère un peu) leur langue, j’ai écrit ce dizain qui se trouve dans mon dernier recueil français, Le petit testament bosniaque, p. 129, publié en 1994, et aussi sur le dos de couverture de mon anthologie Les saluts slaves, publiée quelques années après :

                                   Ô Français ! mon français
                                        N’est pas le vôtre !
                                   N’en soyez pas offensés :
                                        Modestement, je montre
                                        Qu’un étranger, un autre,
                                   Se trouvant indécis, iso-
                                   Lé, exilé, dans les ciseaux
                                        De la vie, a le droit de
                                   Dire sa pensée sise au
                                        Fond d’une église froide.

Cette strophe a été pour moi une première libération du complexe « d’être étranger dans une autre langue » ; la deuxième libération « est venue » avec Dante qui, pendant que je traduisais LA COMÉDIE, m’avait conseillé de forger un nouveau terme en fondant en un mot rime et imagination. Rime+Imagination = Rimagination. ALIghieri m’a donné des ailes pour m’échapper de l’asile des fausses contraintes. Non versificateur mais rimaginateur.  C’est le nom que je me donne. (Voir pour cela le texte d’Els Jongeneel sur le site de mon éditeur !).

            J’ai pendant ces six décennies beaucoup traduit; je ne dis pas « trop », car ce n’est « jamais assez » ! Mes traductions étaient publiées dans les journaux littéraires, diffusées à la radio, lues à la Télé, jouées dans les théâtres, enfin jamais une maison d’édition n’a refusé de les publier ; je gagnais ma vie ainsi, car « sous Tito » chaque vers écrit ou traduit était payé après la publication, parfois même avant, cela m’a permis de rester l’artiste indépendant, ce que je suis toujours ! J’ai encore mes lecteurs un peu dans tous les coins de l’ex-Yougoslavie. Le poète et traducteur slovène, Boris Novak, m’a confié qu’il lisait ma traduction de Mallarmé en serbe pendant qu’il le traduisait en slovène ! Etc. Enfin j’ai eu pas mal de prix et récompenses, en 1988 j’ai reçu la Médaille de vermeil de l’Académie Française. C’est pourquoi en 2006 je jugeais les Palmes académique comme « maigre récompense » !

            Les détracteurs, heureusement, ne manquaient, et ne manquent pas ! Je laisse à côté mes deux « compatriotes » ‒ auxquels j’ai répondu récemment par un livre polémique Dante šalje sekundante (Dante envoie les témoins)  ‒ et ne cite que les dernières  lignes par lesquelles Danièle Robert termine son jugement de ma traduction de La Comédie, version cobaye de 1996, sur la page 17 de sa préface pour la traduction de l’Enfer :  

            « … si ses choix métriques et prosodiques étaient cohérents ‒ c’est loin d’être le cas. Quant à celui  des rimes, il n’est pas plus probant, le tout étant écrit dans une langue, elle, bien problématique ».

            Quant aux „choix métriques, prosodiques et des rimes“, je me suis expliqué dans plusieurs textes précédents, dès le début de cette uni-polémique*, en concluant que je suis le traducteur de Dante (aussi bien en serbe au’en français!) le plus cohérent et strict possible, ce que je puis démontrer sur presque chaque tercine de ma traduction de La Comédie !

* Oui, c’est une uni-polémique, à une voix, car ni D. Robert, ni son éminent éditeur, ni ses amis M. Tortorici et P. Parlan, ni aucun des traducteurs français de Dante, et non seulement de Dante, n’ont pas eu je ne sais pas quoi pour me contredire, en pensant sans doute que „le fou“ ‒ l’étiquette qui m’a été donné par Robert, mais aussi, quelques années auparavant, devant ses étudiants à la Sorbonne, par Echardy, assistant de Jean-Yves Masson, deux fameux détestateurs de la Dame Rime ‒ se feu-trera enfin dans le silence! 

Il reste que je réponde à la toute dernière partie de ce déplorable fragment de Danièle Robert où est la question de ma „langue bien problématique“.

(à suivre)

 

20. je me présente (I).

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

EN ATTENDANT LE PARADIS
DANS LA TRADUCTION DE DANIÈLE ROBERT,

JE ME PRÉSENTE, I

 

J’ai commencé à écrire des vers assez tôt, avant ma quinzième année, et traduit le premier poème, Le ciel est par-dessus le toit de Paul Verlaine que notre professeure, regrettée Dragica Mirjanić, nous a dicté pendant une classe du français, au lycée de Banja Luka, au printemps 1958, et que j’ai traduit, spontanément, en vers rimés. Depuis, je n’ai jamais cessé ni d’écrire ni de traduire ; en effet j’ai ralenti d’écrire quotidiennement mes propres poèmes, et décidé de « tout traduire ». Pour le faire je devais rester « artiste indépendant » après avoir terminé mes études de littérature comparée à Belgrade, en 1967. Aujourd’hui, au début de l’an 2020, soixante-deux ans après cet « événement » pour moi mythique qui a eu lieu au printemps 1958, sous le toit de mon lycée détruit en 1969 par un séisme catastrophique, je dresse pour la première fois la liste de mes livres, écrits ou traduits, publiés en ex-Yougoslavie, et après 1992 en Serbie, mais aussi en France. La liste qui suit, faite « par cœur » certes n’est pas complète, mais l’essentiel de moi-même y est.   

IL CATALOGO È QUESTO

 

                                   Mes recueils en serbe, publiés entre 1984-2020 :

 

STOPA SNA (Le pied du rêve)

NITI (Les fils)

ŠTRIK I ŠIJA (Col et corde) les 365 variations sur lefameux quatrain de Villon: Je suis François

STANJE NIKOGA (L’état de personne) ‒ L’anagramme de

KNJIGA SONETA, Livre des sonnets

MORE (double sens : La Mer / Les cauchemars)

KLAVIRINT (sonnets pour Bach, Glenn Gould et Stephen Hawking)

EROS IN MELOS (Poèmes pour l’année Mozart, 1991)

VINOVNIK (titre difficile à traduire)

KRISTAL USPOMENA (Le cristal des souvenirs)

RIMAGINACIJE (Les rimaginations)

DZEPNA ISTORIJA MUZIKE (L’histoire de musique de poche)

IKAR / ICARE, un vers en français un vers en serbe créant ainsi systématiquement les anagrammes bilingues : o tebi/boïte ; sever/rêves ; san/ans ; etc.).

PRVI IZBOR, Premier choix (anthologie personnelle)

Mes recueils en français publiés en 1971, et entre 1992-1997                       

VERS (1971, Le Mans)

L’HOMME ALARMÉ

LE LIT DÉFAIT

MOZART RENCONTRE SCARLATTI

AU CLAIR DE LA FRANCE

LA RUE DES AMANTS D’HIER

ROBINSONG

MONSIEUR LE SERPENT (Poèmes sur Paul Valéry)

LE PETIT TESTAMENT BOSNIAQUE

HISTOIRE GYMNOPÉDIQUE DE LA POÉSIE FRANCAISE

 

Mes livres en serbe sur la traduction

 

KONSTANTE I PREVIDI, Constantes et variables

PRIM. PREV., N. d. T.

AFRIČKA LEGENDA, La légende africaine

 

Mes livres en serbe sur différents thèmes 

 

SVETE, LAKU NOĆ! (Monde, bonne nuit! ‒ sur les

cantates de Johan Sebastian Bach)

JERSEY MY DEATH (Sur les villes imaginaires de Victor Hugo, à partir du mot Jérimadeth)

OSAM VLAŠIĆA FRANCUSKE SIMBOLISTIČKE POEZIJE (Les huit Pléïades de la poésie symboliste française)

KRILO VREMENA SE SKLAPA (L’aile du temps se renferme, les vers de circonstance de Stéphane Mallarmé)

PREŠEREN, MALO DRUGAČE (Preseren, un peu autrement, publié en traduction slovène)

ZALJUBLJENO MORE, La mer amoureuse, Anthologie des Poètes dans La Comédie de Dante Alighieri

DANTE / VIJON / MOCART, Dante / Villon / Mozart

DANTE ŠALJE SEKUNDANTE, Dante envoie les témoins, livre des polémiques

RESTORAN, Le restaurant (astro-gastro thriller)

                                              

Mes anthologies en serbe de la poésie française, 1973-2015

 

ANTOLOGIJA TRUBADURSKE POEZIJE (depuis le premier troubadour, Guillaume d’Aquitaine, jusqu’à François Villon)

ANTOLOGIJA FRANCUSKE POEZIJE  (de Charles d’Orléans à André Chénier)

NARCIS GOVORI (Narcisse parle, anthologie de la poésie Française du XIX siècle)

ČETIRI GODIŠNJA DOBA FRANCUSKE POEZIJE (Quatre saisons de la poésie française, XI-XX siècle, en 4 volumes)

ANTHOLOGIE DES BALLADES, CHANSONS ET RONDEAUX FRANCAIS (de Guillaume de Machaut à Jacques Brel)

ANTHOLOGIE DES SONNETS FRANCAIS (de Clément Marot à Charles Péguy)

Mes livres de traductions en serbe de la poésie française dans l’ordre chronologique (non celui de la publication) 

LES TROUBADOURS (36 poètes de Guillaume d’Aquitaine à Guiraut Riquier)

Chrétien de Troyes: FILOMELA

Chrétien de Troyes: LANCELOT

Chrétien de Troyes: PARSIFAL

Marie de France: LAIS

Guillaume de Lorris: ROMAN O RUŽI (Le roman de la Rose)

Auteur anonyme: KAŠTELANKA OD VERŽIJA (La châtelaine de Vergy)

Beroul / Thomas: TRISTAN I IZOLDA

Guillaume de Machaut: PRIČA O ISTINI (Le voir dit)

Charles d’Orléans: BALADE, ŠANSONE, RONDA

François Villon: ZAVESTANJA (Les Testaments)

Hans Holbein: PLES SMRTI (La danse de la Mort)

Maurice Scève: DELIA UZOR ČISTE VRLINE (La Délie)

Jean de La Fontaine: BASNE (Fables, trois premiers livres)

Victor Hugo: PESME (Contemplations, choix)

Charles Baudelaire: CVEĆE ZLA (Les fleurs du Mal, quatre éditions)

Jules Laforgue: JADIKOVKE (Les Complaintes)

Jules Laforgue: RAZNI TEKSTOVI (Divers textes)

Stéphane Mallarmé: PESME (choix de poèmes, 1970)

Stéphane Mallarmé: SABRANE PESME (Poésies complètes, 1986)

Paul Claudel: STO REČENICA ZA JEDNU LEPEZU (Cent phrases pour un éventail)

Paul Valéry: IZMEĐU JUTRA I PALME (Entre Aurore et Palme,1969)

Paul Valéry: LA POÉSIE BRUTE (première édition mondiale)

Paul Valéry: SABRANE PESME (Poésies complètes)

Paul Valéry: SLOVAR (Alphabet, première mondiale)

Paul Valéry: OSTRVO KSIFOS (L’île Xiphos, vers et prose)

Paul Valéry: MELANGE

Paul Valéry: MOJ FAUST (Mon Faust)

Victor Segalen: STELE (Les Stèles)

 

Mes traductions en serbe de la prose française

 

Victor Hugo: PRIZIVANJE DUHOVA (Les tables tournantes de Jersey)

Victoro Hugo: ŠEKSPIR (Shakespeare)

Marquis de Sade: KRATKE PRIČE (Historiettes)

Paul Valéry: SVESKE (Cahiers, tomes I-V)

Paul Valéry: PESNIČKO ISKUSTVO (Expérience poétique,

          grand choix des essais essentiels sur la poésie)

Paul Valéry: MEDITERANSKA NADHNUĆA (Les inspirations

          méditerranéennes, grand choix de différents essais)

Paul Valéry: LE LIVRE SUR MALLARMÉ

Paul Valéry: ČISTA I PRIMENJENA AN-ARHIJA (L’an-archie

          pure et appliquée, texte posthume)

 

Mes traductions du serbe en français 

LES SALUTS SLAVES, Anthologie de la poésie ex-Yougoslave du XIX siècle

Mes traductions du slovène en français 

France Prešeren: L’ULTIME AIMÉE (choix de poèmes, 2000)

Francè Prešeren: POÉSIE COMPLÈTES, 2012

Mes traductions de l’anglais en français

Edgar A. Poe: LE CORBEAU (9 versions de la traduction, 1999)

Mes traductions de l’allemand en français

  1. S. Bach: MONDE, BONNE NUIT! (Les cantates BWV 5,

       21, 51, 61, 64, 68, 92, 158

Wolfgang A. Mozart: ÉPITAPHE POUR LE SANSONNET

Mes traductions de l’italien en français 

Dante Alighieri: LA TENSON AVEC FORESE DONATI

Dante Alighieri: LA COMEDIE, 1995, 1989, 2018

Brunetto Latini: LE PETIT TRESOR

Mes traductions du slovène en serbe

France Prešeren; PESME, choix de poèmes

Mes traductions de l’anglais en serbe 

Edgar A. Poe: POÉSIES, 1973, 1978, 1985 et 2009 complètes

Mes traductions de l’allemand en serbe

Wolfgang A. Mozart: EPITAF ZA ČVORKA, Épitaphe pour un sansonnet

Wilhelm Müller: ZIMSKO PUTOVANJE, Le voyage d’hiver

Wilhelm Müller: LEPA MLINARKA, La belle meunière

Mes traductions de l’espagnol en serbe

Sor Juana de la Cruz: PRVI SAN, Le premier Songe

Federico G. Lorca: CIGANSKI ROMANSERO, Le romansero gitan

Federico G. Lorca: PESME, grand choix de poèmes

Mes traductions de l’italien en serbe

Brunetto Latini: RIZNICA, Le petit trésor

Dante Alighieri: KOMEDIJA, La Comédie, 2002, 2007, 2015

Giovanni Pascoli: POSLEDNJE PUTOVANJE, L’ultime voyage

Mes livres musicologiques en français et serbe 

MOZART RENCONTRE SCARLATTI (en français) poèmes et commentaires sur un motif d’une sonate de Scarlatti découvert dans un concerto pour piano de Mozart)

NEPOSLATO PISMO OTU KLEMPERERU (Une lettre non-envoyée à Otto Klemperer, en serbe)

L’HISTOIRE LYRIQUE DE LA MUSIQUE de Pythagore à Bach en 4 volumes (3600 pages, en serbe)

LE ROMAN MUSICAL I, De Jubal à Ljubica Marić, 800 pages, en serbe

LE ROMAN MUSICAL II, Dans la constellation de Mozart, 800 pages, en serbe

LE ROMAN MUSICAL III, De Mozart à Mozart, 800 pages, en serbe

LE ROMAN MUSICAL IV, Interlude, 550 pages, en serbe

LE ROMAN MUSICAL V, Voulez-vous écrire une fugue, 800 pages, en serbe

 

         LA MAIN DES LANGUES

 

Si j’ai dressé la liste ci-dessus, ce n’était ni pour sa longueur, ni son épaisseur, mais plutôt et surtout pour montrer sa diversité. Pour démontrer cette diversitéque  je donne dans les lignes qui suivent ma Main des langues, à l’instar de la Main guidonienne (sans utiliser les phalanges). Chacun des cinq doigts d’une main a sa fonction dans ces jeux de langues que je précise ainsi avec une nota bene que nous sommes ici exclusivement dans la Poésie:

LE POUCE                       

Écrire dans la langue maternelle (langue donnée) ;

L’INDEX

               

Apprendre et traduire d’une ou plusieurs langues étrangères en langue maternelle ;

LE MAJEUR

 

Écrire dans une ou plusieurs langues étrangères (langue choisie que Reiner M. Rilke appelait „prêtée“ ; je pense aussi à John Gower entre maints autres ;

L’ANNULAIRE                       

Traduire de la langue maternelle en une ou plusieurs langues étrangères;                       

L’AURICULAIRE

Traduire d’une langue étrangère dans une autre langu étrangère.

Je ne donne pas les exemples pour chacune de ces étapes, mais ils se trouvent très

visiblement exposés sur ma liste bibliographique. 

(à suivre)

19. Quelques exemples de critique anticipative.

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

QUELQUES EXEMPLES
DE LA CRITIQUE ANTICIPATIVE

 

Dis-moi ‒ non pas ton signe astrologique, mais montre-moi quoi et comment tu  traduis, et je te dirai beaucoup de choses sur toi ! Pendant la lecture de sa traduction de l’Enfer et du Purgatoire, j’ai tellement connu les « techniques » de Danièle Robert, qu’au moment où son éditeur prépare la sortie de sa traduction  du Paradis ‒ pour compléter à tout prix La divine Comédie ‒ je vois très nettement les moments et les endroits moins ou plus importants du Texte de Dante où elle commettra ces « gauchismes », c’est-à-dire où elle trahira et détruira cette « structure voulue par l’auteur », qu’annonçait l’Actes Sud sur la quatrième de couverture de sa traduction de l’Enfer. J’en donne ‒ parmi une bonne centaine et plus ‒ quelques exemples dont on pourra vérifier la véracité à la sortie du Paradis.

         Premier exemple : Danièle Robert ne remarquera pas que le dernier mot du premier vers du Paradis :  

La gloria di colui che tutto move

se trouve au début du dernier vers de toute La Comédie :

l’amor che move il sole e l’altre stelle.

Par cette répétition ‒ nullement mécanique, on le verra ‒ Dante « dessine et ferme » le cercle, la forme qui correspond au mieux à l’idée-l’image cyclique ‒ cerclique ! ‒ du troisième cantique. Si elle remarque cette répétition, elle ne comprendra son importance ; et si elle comprend son importance, elle n’en pourra pas trouver la bonne solution. 

         Second exemple : dans le chant VII, 14, Robert « sauvera » le joli jeu avec le nom de Béatrice :

… pur per Be e per ice,

parce que Dante donne plus que la moitié de la solution, mais elle ne pourra pas facilement, dans ce même chant, seulement quatre vers plus haut :

Io dubitava, e dicea « Dille, dille ! »

traduire le Dille, dille de telle manière que ce dille, dille ‒ où Dante joue sur la plus haute corde ‒ soit le résultat d’une transformation alchimique, par le procédé de diminution, du Dì, dì, dans le vers 122 du chant V :

detto mi fu; e da Beatrice : « Dì, dì…»

Pour que Danièle Robert comprenne l’importance de ce « dille dille-dì dì » il faudra qu’elle se retourne en arrière et elle verra, au début du vers 5 du chant XXXI du Purgatoire, que Dante prépare son lecteur à ce jeu virtuose d’un instrument à cordes, puisque Béatrice dit :

« dì, dì se questo è vero ; »

Je vois qu’elle a traduit, enfin, correctement ‒ mieux que Pézard et Risset ‒ cette phrase de Béatrice du Purgatoire :

« dis, dis si c’est vrai ; »

et je ne doute pas qu’elle traduira non moins correctement le  « dille, dille » par « dis-lui, dis-lui », et le « dì, dì » par « dis, dis » dans le Paradis ; mais quand elle aura réalisé ce vrai exploit, au lieu de se sentir  v i n c i t r i c e  d’un nœud sonore de Dante, elle sera obligée de reconnaître que ces trois solutions se trouvent telles quelles déjà dans ma traduction cobaye de 1996 de La Comédie, et normalement dans la nouvelle traduction nouvelle selon moi de 1998, et la troisième édition définitive de 2018, éditée par Esopie! Je n’ai rien contre qu’elle reprenne mes solutions pour ces magiques dì, dì / dille, dille / dì, dìcar il n’y a pas d’autres meilleures ‒ mais je suis certain qu’elle oubliera de dire, dans sa note, à qui elle les doit. Elle a lu mes notes dans lesquelles j’ai toujours dit à mon lecteur quel est le mot que j’ai pris chez un autre auteur, depuis Villon, Lemaire de Belge, Maurice Scève, Stéphane Mallarmé, Jules Laforgue, Paul Valéry (etc) ou chez les autres traducteurs comme Pézard, Doderet, Brizeux, Lucienne Portier (tout un vers !*).

     * Mais Danièle Robert a dit adieu à toute dantéologue dantesque au moment où elle n’a pas averti son ami Tortorici qui, dans son enthousiasme avait proclamé comme la « nouveauté absolue » sa solution du premier vers de l’Enfer, tandis qu’il s’agissait d’un pur et simple plagiat de la mienne (solution) et dont Tortorici ne s’est jamais excusé ! Une erreur non reconnue est doublement plus lourde. 

Et qu’elle cesse enfin de se vanter d’être la première réalisatrice d’une traduction terzarimée de La Comédie de Dante, au moment où elle n’avait traduit que l’Enfer ! Je la devance d’une bonne vingtaine d’années…    

         Troisième exemple : on sait que Dante faisait tout pour élargir le chant rimique ; on pourrait lui attribuer cette phrase de Shakespeare : « Royaume pour une rime (aspra e chiocca) ! » ; il dit  d i c e a  pour avoir une rime rarissime avec  C i r c e a, et  d i c e v a  pour avoir la rime avec  E v a (remarque que je dois à Enrico Malato); il se permet même de jouer avec le nom d’un saint ‒ qui ne considérait pas la poésie comme une expression digne de la philosophie ‒ toujours dans le but d’obtenir des rimes diverses ; ainsi :

l’eccelenza de l’altra, di cui Tomma (XII, 110)
      la gloriosa vita di Tommaso  (XIV, 6)

Osera-t-elle, celle qui s’est autoproclamée la prima rimatrice de Dante en France, osera-t-elle faire quelques virtuoseries ‒ non de mièvres assonances ou pareils résidus ‒ avec le nom du Saint ? Bien que sûr que non.

         Un quatrième (presque micro) exemple : comment en lisant ce tercet du chant I, 43-45, avant d’essayer sa traduction :

                            Fatto avea di là mane e di qua sera
                                 tal foce quasi, e tutto era là bianco
                                 quello emisperio, e l’altra parte nera…,

comment ne pas remarquer ces deux couleurs les plus opposées entre toutes, bianco et nera, par lesquelles se terminent ces deux vers ? C’est ainsi chez Dante ; mais prenez certaines traductions de ces trois vers en français et vous trouverez toutes sortes de variations qui ont pour le but d’éloigner le plus possible ces deux mots l’un de l’autre pour voiler au lecteur l’idée principale ‒ bianco/nera ‒ qu’avait Dante, j’en suis persuadé, en créant ces vers !

         André Pézard, violent ennemi de toute traduction rimée de La Comédie,  propose une solution que je dirais capricieuse :                           

Sur le mont d’achevait la matinée :
     le soir tombait déjà aux rives de l’Europe,
                                 l’autre hémisphère était déjà tout blanc…,                           

où le noir avait carrément disparu du texte et les petits adverbes du premier vers « di là » et « di qua », auxquels Dante nous a habitués depuis le début même de La Comédie,  inexplicablement remplacés par « sur le mont » et « aux rives de l’Europe »!

         Jacqueline Risset, dans sa très célèbre traduction de La Comédie, garde les couleurs de Dante :

                            Ce point avait fait le matin-là, ici
                                 le soir ; presque tout blanc était par là
                                 cet hémisphère, et l’autre côté noir,

mais cache ouvertement le bianco à l’intérieur du vers ‒ pour qu’il ne la rappelle que Dante est un rimeur-rimaginateur ! ‒ tandis que son « mot-à-mot le plus fidèle possible » proclamé hautement contre toute versification terzarimée dans sa préface pour l’Enfer, l’obligeait de garder le blanc à la fin du vers ! 

         Pourtant et heureusement ce comportement n’est pas commun pour tous les traducteurs français ; j’ai déjà attiré l’attention de mes lecteurs sur la traduction d’André Doderet, de 1938,  qui a très délicatement traduit ce tercet ‒ comme tourmenté et chez Pézard et chez Risset ‒ sans s’opposer à une jolie rime qui s’est offerte d’elle-même :

                            Avait fait le matin ici et là le soir,
                                 un porche ou presque, et tout paraissait blanc
                                 dedans cet hémisphère et, dedans l’autre, noir.

J’attends avec impatience la solution que proposera Danièle Robert pour ce tercet et tant d’autres, mais d’avance je sais que sa traduction du Paradis sera non moins que les deux précédentes de l’Enfer et du Purgatoire, parsemée de tant de ses « gauchismes » dont on pourra sourire à volonté…

18. Le comportement de Danièle Robert avec les 16 lecteurs de Dante.

Kolja Mićević

La traduction gauchie de l’Enfer et du Purgatoire
par Danièle Robert (Actes Sud, 2016, 2018)

LE COMPORTEMENT DE DANIÈLE ROBERT
AVEC LES SEIZE LECTEURS DE DANTE

 

Parmi les personnages nombreux et divers qui peuplent La Comédie, le lecteur est un des plus constants, intéressants et ‒ importants ! Il apparaît 5 fois en Enfer, 7 fois au Purgatoire et 4 fois dans le Paradis, en tout 16 fois, tellement près du 15, le nombre fondamental du système numérologique dans le Poème, que parfois je me permets de penser et de dire que Dante s’était ‒ porté par le chaos de la fabrication du Livre ‒ oublié ‒ non endormi ! ‒ dans son calcul et avait « ajouté » un lecteur de plus ! Mais lequel ? Celui, dernier du Paradis, au chant XXII ? Sans lui, la formule numérologique serait parfaite :                  

‒ le 5 de l’Enfer, correspondait aux nombre de lettres dans le nom de Dante et dans le premier acrostiche de La Comédie, NATIo ;

‒ le 7 du Purgatoire, entre autre, correspondrait aux sept péchés qui s’y purgent ;

‒ le 3 du Paradis, faut-il dire ?, correspondrait enfin à ce symbole et l’image trinitaire sur laquelle est fondée La Comédie, depuis la tierce rime… jusqu’à la Sainte Trinité…

Mais, il y a ‒ indubitablement ‒ ce seizième lecteur ‒ tel un voyageur clandestin ‒ qui transforme cette parfaite formule en une dissonance, qui précède celle, la Grande ‒ comme je l’appelle ‒ avec le  d i f f e r e n t e m e n t e  dont il était question dans le texte précédent, qui commence ‒ si l’on peut dire ainsi ‒ à la fin du vers 16 et finit au début du vers suivant du chant XXIV du Paradis ! C’est vrai que je me suis toujours demandé, depuis que je l’ai découverte, pourquoi Dante n’a pas réalisé cette Coupure Révolutionnaire (differente-mente*) en partant du vers 15 !? L’existence du seizième lecteur expliquerait, au moins pour moi, ce fait.

* Un des derniers auteurs des livres sur Dante, prof. Carlo Ossola dans sa récemment traduite et publiée Introduction à La Divine comédie, vers la fin de son étude (page 146) renseigne le lecteur, mais comme au passage, que Dante Alighieri est quelqu’un qui « divise les mots », mais ne dit pas de quels mots il s’agit, où « ces mots » se trouvent dans La Comédie, et surtout ne dit pourquoi Dante « divise les mots » ! En effet, il ne pouvait pas le dire, puisqu’il ne s’agit pas des mots, mais d’un seul mot, pourtant exceptionnel,  d i f f e r e n t e m e n t e, de 15 lettres ; en disant que Dante « divise les mots » ‒ et il faut croire que dans l’original italien il s’agit aussi du pluriel ‒ et non un seul et unique mot, l’auteur de cette Introduction… nous montre qu’il est absolument indifférent à ce minimaliste « coup de dés » dantesque, mais aussi une des plus riches heures de la poésie universelle. Réduire ce geste sublime de Dante à cela : « la spezzatura dell’avverbio sembra riproduire ritmico volgersi della danza circolare » (note d’Anna Maria Chiavacci Leonardi), c’est rester au premier niveau de signification, littéral, sans voir les trois autres, allégorique, moral et anagogique* !

* Il est intéressant de noter que les deux traducteurs de l’essai de Carlo Ossola ont très maladroitement, pour donner l’idée de cette « division des mots », légèrement modifié (sic !) la traduction de Jacqueline Risset déjà classique, en divisant le mot choisi par elle pour remplacer le fameux differentemente : diversement = diverse-ment ! Un geste sérieusement en contradiction avec son « opération traductive » ‒ car si J. Risset pensait qu’il fallait diviser ce mot, elle l’aurait fait ‒ et d’autant plus bizarre car les deux traducteurs avaient à leur disposition l’excellente traduction de Marc Scialom qui a non seulement « divisé ce même mot et au même endroit » mais a accompagné sa trouvaille d’une note instructive !            

Je ne sais si jamais un dantéologue ‒ et les dantéologues sont capables de plus minutieux calculs ‒ avait compté le nombre de fois où Dante s’adresse à son lecteur, et j’ignore aussi si son   l e t t o r e   a été le sujet d’un texte ou d’un livre, ou d’un séminaire universitaire, qu’il mérite. En introduisant dans son texte un lecteur, Dante montre qu’il n’écrivait pas La Comédie pour soi, mais pour l’humanité, c’est-à-dire qu’il comptait sur les innombrables lecteurs (et il ne s’est pas trompé). En deux mots, l’introduction du lecteur dans les différents chants de La Comédie est une de plus belles inventions de Dante. Est-ce toujours un même lecteur à qui Dante s’adresse dans les seize différentes occasions, ou s’agit-il de seize différents lecteurs ?, c’est aussi une question intéressante à débattre.

         Le lecteur régulier de mes textes sait que maintenant je poserai la question logique et inévitable : Qu’a fait Danièle Robert avec ces seize lecteurs dans sa traduction gauchie? Encore une fois, au lieu de rester fidèle et cohérente avec son Dante ‒ car quiconque a le droit à son Danté ‒ elle a rompu le beau portrait et a montré toutes les faiblesses et maladresses de son procédé.

         Non dans les deux premières apparitions du lecteur ‒ aux chants IX, 84 et XVI, 128 de l’Enfer ‒ mais déjà dans la troisième (apparition, chant XX, 19) :

                            Se Dio ti lasci, lettor, prender frutto

vous ne le trouverez pas à cet endroit dans sa traduction :

                            Si Dieu te permet de tirer parti

et serez amèrement déçu par le comment Danièle Robert a détruit une des plus belles, des plus  d o l c e  images dans l’Enfer

                                     prender frutto / di tua lezione

‒ cruellement francisée en :

                                      de tirer parti / de ta leçon.

Deux grandes erreurs entourent le lecteur dantesque dans sa traduction : « fruit » remplacé par « parti » et « lezione » par « leçon » ! Quant à la première, Robert devait savoir que parfois un simple mot-à-mot ‒ prender frutto = prendre, fruit ‒ est la meilleure voie vers une bonne fin d’un vers ! Quant à l’autre (erreur), celle-ci était inévitable ; car elle a décidé de déloger le  l e t t o r e  de Dante dans le vers suivant !

         Je résume : Danièle Robert a d’abord évité un simple mot-à-mot, et n’a pas voulu traduire « frutto » par « fruit » mais par « parti » ; tandis que dans l’autre cas, elle a appliqué un mot-à-mot légal (puisque  l e z i o n e  signifie plutôt, c’est vrai,  l e ç o n), mais qui l’a fait commettre une vraie (pas fausse !) erreur dont le lecteur, celui à qui Dante s’adresse, a doublement souffert !

         Dans la continuation, au lieu de « tirer parti » du cas précédent, quand elle a  chassé-expulsé  le lecteur du premier vers du tercet dans le deuxième, et se sentant encouragée par cette opération ‒ que ni plairait pas du tout à Dante, car ainsi elle a éloigné son lecteur, qui risque de ne pas entendre la voix de son auteur  ‒ elle commet la même erreur mais en déplaçant le lecteur du beau milieu du vers 46 du chant XXV, toujours de l’Enfer :

Se tu se’ or, lettore, à creder lento

au début du vers suivant :

lecteur, tu ne dois pas t’en étonner…

Par ce geste irresponsable, Danièle Robert a une fois de plus éloigné le lecteur de l’auteur, mais elle a réussi encore une chose dont elle n’était pas consciente, sans doute, en devançant Dante dans son jeu avec le lecteur ! Au moment où elle mettait le lecteur au début d’un vers ‒ elle devait se féliciter d’un tel bel effet ‒ car, se disait-elle : pourquoi suivre aveuglement l’auteur qu’on traduit, même s’il s’appelle Dante ‒ sans savoir que Dante fait, deux fois même, le même effet, mais dans le Purgatoire ! Si elle le savait, elle aurait peut-être réfléchi avant de mettre le lecteur mécaniquement là où elle l’a mis, mais je ne crois pas qu’elle avait compris que Dante, pendant le passage à travers l’Enfer, donnait au lecteur une place toujours au milieu du vers, pour le protéger de tous les dangers ‒ comme Virgile le protégeait lui-même ‒ et que dans le Purgatoire, ces dangers diminuant, il l’y met ‒ au début du vers ‒ même deux fois : la première fois au chant IX, 70, et la seconde fois presqu’au début même du chant XVII. Il est clair qu’il y a une progression dans la façon dont Dante s’occupe de son lecteur.

         Danièle Robert traduit le vers 70 du chant IX du Purgatoire pas tout à fait comme il faut, mais le lecteur est à sa place prévue par l’auteur :

Lettor, tu vedi ben…
Lecteur, mon sujet…

Mais, se sentant fatiguée après toutes ces répétitions avec le lecteur ‒ et on sait combien les traducteurs français ont une peur sacrée des répétitions, et en prose et en poésie ‒ elle décide de faire un grand coup avec le  l e t t o r-l e c t e u r,  et dans le premier tercet du chant XVII du Purgatoire :

Ricorditi, lettor, se mai ne l’alpe
     ti colse nebbia per la qual vedessi
     non alrimenti che per pelle talpe…,

elle le réalise à la manière des dés jetés au hasard :

                            Si un jour en montagne le brouillard
                                 t’a surpris, il ne t’a, souviens-toi, lecteur,
                                 permis qu’à travers taie de taupe de voir… ;

Tout anti-art de traduire est là ! Il ne s’agit plus de chercher le lecteur, que Danièle Robert a, sans aucune permission, mis à la place de la rime ‒ tandis que Dante ne le met jamais à cette position, même pas au Paradis, mais elle ne le sait pas encore ‒ car toute cette strophe fourmille des absurdités autant qu’elles sont possibles dans un cadre si étroit de 33 syllabes.

         Au lieu de suivre le cours naturel des images, en fixant certains points dans le texte pour plus librement et plus facilement vouvoyer entre eux, Robert s’est laissé porter par le courant de son an-imagination qui renverse tout sur son chemin ‒ regardez où ce courant a emporté le « Ricorditi, lettor… » ‒ et laisse de résidus pareils:

t’a surpris, il ne t’a, souviens-toi, lecteur…

ou les images qui n’ont rien avec celles de l’original sauf les mots dont elles sont faites, car cela est possible aussi sous la plume de Danièle Robert :

qu’à travers taie de taupe de voir

Aucun sens ! C’est vrai que « l’action » de ce tercet se « passe » dans la brume alpine et sous la terre où vit la taupe, mais le tercet est parfaitement clair et simple ! Rien d’obscur en ces vers. Mais cela n’empêche pas Danièle Robert de nous dire que « le brouillard a permis au lecteur de voir à travers la taie de taupe » (nonsens !). Si elle avait lu ce passage dans la traduction de Jacqueline Risset ‒ qu’elle admire au plus haut niveau, je ne comprends pas pourquoi, d’autant plus que Risset était, comme Pézard, fortement opposée à une traduction terzarimée ! ‒ elle aurait compris que la vue du lecteur est comparé avec la façon de regarder de la taupe, « à travers la taie, per pelle ». Dans la proposition de Robert, le lecteur est obligé de prêter la taie à la taupe pour pouvoir voir quelque chose dans le brouillard !

           Ne pas commencer ce chant par, par exemple, « Rappelle-toi, lecteur… » ou « Souviens-toi, lecteur… » ‒ et il n’est pas nécessaire d’expliquer pourquoi ‒ c’est euthanasier la poésie. Tout le Romantisme futur est dans cette image, Byron et Berlioz, et je n’en dis plus, car ce n’est pas mon sujet.

         Mon sujet est de rappeler à l’anti-versificatrice Danièle Robert qu’elle a, dans le tercet par lequel commence le chant XVII du Purgatoire, royalement ‒ comme per pelle talpe ‒ fermé les yeux devant une des plus rares paires de rimes dans La Comédie : a l p e – t a l p e, il n’y a pas de troisième ! Ce sont ces rimes uniques, dont j’ai parlées dans le texte précédent. Elle s’est débrouillée comme elle a pu, avec  b r o u i l l a r d-v o i r,  donc avec rien et pourtant c’était le moment-lieu pour montrer qu’elle est la première et la meilleure en France à terzarimer Dante, comme elle s’est dans sa préface vantée!

         Deux cantiques, Enfer et Purgatoire, et 12 lecteurs ; il reste encor 4 dans le Paradis. Qu’en fera Danièle Robert, ce n’est plus important, après ce qu’elle a fait avec ces 12. Mais elle ira jusqu’au bout même au prix d’éliminer ‒ ou d’ajouter, pourquoi pas ! ‒ quelques-uns ! Je pense plutôt à tous les dangers qui l’attendent, elle et son éditeur, pour terminer cette entreprise traductoire qui n’aurait pas dû avoir de commencement.        

                            Rappelle-toi, lecteur, si jamais aux Alpes
                                 te surprit le brouillard, partout regardant,
                                 pareil à la taupe qui en l’obscur palpe…

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